D'aucuns préconisent d'annuler les profits captés par les bailleurs ! La collectivisation du locatif privé en vue à Bruxelles ? Le SNPC craint aussi des manipulations dans l'actualisation des grilles.
Le Plan d'Urgence Logement (PUL) du Gouvernement bruxellois prévoit de développer une gestion plus dynamique de la grille indicative des loyers et de préciser à ce sujet :
La grille indicative des loyers doit être basée sur des données les plus récentes possibles pour qu'elle puisse être considérée comme un outil fiable pour la mise en œuvre de certaines politiques.
Début 2020, un marché public pour la révision de la grille des loyers sur base des enquêtes de l'Observatoire des Loyers plus récentes (2017, 2018 et 2020, 15.000 enquêtes) a été lancé. L'objectif de cette mission était d'actualiser la grille indicative des loyers en appliquant la méthodologie existante, mais en y apportant également des améliorations (plus de critères relatifs au bien).
Sur la base d'une première analyse de la nouvelle équipe de recherche (ULB-IGEAT), il apparaît que la méthodologie utilisée pour l'élaboration de la grille actuelle doit être améliorée. En outre, les enquêtes de l'Observatoire des loyers 2020 ont été retardées en raison de la crise COVID-19. Dès lors, la grille ne sera révisée qu'en décembre 2021.
Une base de données centralisée permettant d'avoir une image fidèle du marché locatif (baux, loyers, garanties, état des lieux, PEB, permis, etc.) sera mise en place au travers de protocoles d'accord avec les différentes institutions concernées (administrations publiques régionales et fédérales, secteur bancaire).
Une campagne de communication sera lancée au début de l'année 2022 pour mieux faire connaître la grille indicative des loyers.
Des constats faits par le SNPC, l'actuelle grille indicative des loyers est loin de refléter l'état des loyers en Région de Bruxelles-Capitale. En outre il apparaissait clairement qu'elle avait été construite pour tirer les loyers vers le bas.
Le SNPC n'est pas contre le principe d'une grille indicative mais pour autant qu'elle soit établie sur base de critères objectifs. En comparaison, le travail fait en Région wallonne l'avait été de manière plus sérieuse.
La majorité bruxelloise dès son installation en avait fait également le constat d'où les manœuvres annoncées ci-avant. Le tout est cependant de voir où la majorité bruxelloise va atterrir dans ce dossier d'autant plus quand nous prenons connaissance du rapport commandé par la Secrétaire d'Etat au Logement Madame BEN HAMOU à l'ULB et qui est sorti au mois d'octobre dernier (disponible en entier sur le site internet du SNPC).
Manifestement et même si le PUL date du début de cette année (voir développements ci-avant), il peut être craint que d'aucuns veulent aller plus loin qu'une objectivation et une amélioration de la grille existante.
Et pour preuve comme suggéré par ledit rapport, le Cabinet de la Secrétaire d'Etat BEN HAMOU a lancé une nouvelle étude pour mieux connaître le profil des bailleurs ! Mais que ces derniers soient bien conscients ce n'est certainement pas pour mieux prendre en compte leurs préoccupations mais bien de voir comment les priver de leur rente locative comme explicité ci-après.
En effet les messages clés du rapport sont les suivants :
Avec les informations et données disponibles il est impossible de reproduire à l'identique la méthode utilisée pour la grille 2017.
La méthode utilisée en 2017 présente une série de faiblesses qui appelle un changement d'approche.
La faiblesse de l'échantillon et les limites dans la stratification de l'enquête posent un problème fondamental pour la constitution d'une grille fiable.
Deux approches sortent des exemples d'ailleurs pour une grille :
- approche hybride entre statistiques empiriques (quand possible) et modélisation (quand nécessaire)
- une grille incomplète et assortie d'indicateurs de fiabilité de la valeur de référenceUne approche purement modélisée constitue une alternative potentielle.
Toutes les approches évaluées partent d'un postulat important : le loyer de référence déterminé par l'évolution du marché ne constitue donc qu'une évaluation des « outliers » éventuels, pas une approche normative de détermination d'un loyer juste.
Il existe un modèle de régulation des loyers alternatif à une grille, reposant sur la limitation des taux de profits. Il devrait être analysé attentivement.
La rente locative représente une masse financière potentielle considérable pour amortir les effets sociaux de la crise sanitaire. La masse des loyers constitue environ 2,25 milliards. La rente nette de prêt hypothécaire, de l'entretien, des frais d'assurance et de fiscalité est de minimum 0,6 milliard.
L'annulation des profits habituellement captés par les propriétaires bailleurs ne fera peser un risque de précarité que sur une part faible d'entre eux puisque la part des logements détenus par des ménages bailleurs précaires est très faible et ils pourraient dès lors faire l'objet d'aides ciblées.
La redistribution de la rente habituellement captée par les propriétaires bailleurs peut aussi contribuer, au travers de sa réorientation vers la consommation locale, à mieux soutenir l'économie régionale puisque 35 % des logements loués sont détenus par des bailleurs qui habitent en dehors de la Région de Bruxelles-Capitale.
L'auteur du rapport s'explique davantage sur ce qui justifie pour lui de partir sur un autre modèle de régulation des loyers mais aussi sur les marges de manœuvre pour une régulation des loyers à charge des bailleurs.
Enjeux et limites d'une grille comparative dans le cadre d'un contrôle des loyers
La première partie de ce rapport a souligné les sérieuses difficultés à surmonter, entre autres en matière d'échantillonnage, pour élaborer une modélisation fiable des montants des loyers. Envisagé dans une optique de régulation, l'usage d'une grille des loyers soulève des difficultés supplémentaires.
Une première catégorie de difficultés est liée au caractère très limité des objectifs descriptifs de l'enquête.
Il est tout à fait remarquable, en particulier, qu'elle ne permette de réunir que des informations sur les logements et les locataires, et non sur les propriétaires. Cette carence a une double conséquence.
En termes purement descriptifs, en se privant de toute analyse de « l'offre », elle renonce à documenter valablement les fonctionnements et les structures du marché locatif.
En termes de régulation, elle écarte a priori toutes les mesures qui prendraient en compte les caractéristiques des bailleurs.
Des informations telles que les revenus des ménages bailleurs, leurs charges courantes liées à la mise de leur biens sur le marché locatif (charges d'entretien et de rénovation ; taxes et impôts ; assurances, etc.), le mode et le coût d'acquisition de tous les logements détenus (achat, don ou succession,...) et les immobilisations et charges financières liées à leur acquisition (charges d'emprunts, frais d'enregistrements,....) seraient pourtant indispensables pour :
apprécier les marges de manœuvre et les impacts sociaux de différents dispositifs potentiels de régulation (entre autre à travers une meilleure connaissance des taux de profits et des modes de constitution des patrimoines sur les différents segments du marché locatif)
documenter et mieux cerner les cas où la diminution des revenus locatifs pourrait conduire à des risques de pauvreté ou de précarisation des ménages bailleurs (revenus complémentaires pour des pensionnés à faibles pensions; revenus complémentaires pour des bailleurs à domicile ayant charges d'emprunts ; etc.)
Même si on se place dans l'optique d'une simple modélisation des loyers, et que l'on suppose disponible un outil suffisamment fiable de modélisation, un second type de difficultés doit être souligné : le simple usage normatif du loyer médian par catégories de biens pourrait paradoxalement conduire à une aggravation des difficultés sociales liées au coût du logement.
A même type de logement, il est en effet très probable que les ménages qui ont accepté (ou qui se sont résignés à accepter) un loyer supérieur au loyer médian sont en moyenne dans de meilleures situations financières que ceux qui paient un loyer inférieur (éventuellement après avoir dû renoncer à des logements assez similaires mais plus coûteux). L'usage normatif du loyer médian reviendrait alors, non seulement à une baisse des loyers au-dessus de la norme, mais également à une augmentation des loyers sous la norme (en supposant une tendance à s'aligner sur cette dernière) à faire baisser les loyers des ménages en moyenne les moins précaires, et de faire monter au contraire les loyers des ménages ayant déjà les plus grandes difficultés financières.
Il faut noter que ce risque s'élève avec la dispersion des loyers autour du loyer (ou de l'intervalle de loyers) choisi comme norme. Or, le caractère performatif de la grille comme outil de régulation suppose une dispersion forte (l'alignement sur le loyer médian ayant d'autant moins d'effet que la dispersion est faible). Une régulation fondée sur une telle grille doit donc, à minima, veiller à éliminer les ajustements à la hausse. Ceci suppose par exemple :
de fixer la norme de référence suffisamment au-dessous du loyer médian pour minimiser les tendances aux réajustements à la hausse (en nombre et en ampleur) des loyers auparavant sous le loyer de référence.
et/ou la mise en place de mécanismes s'opposant efficacement aux hausses des loyers sous la norme.
Ces mécanismes devraient éviter de reposer sur l'initiative des locataires concernés. Outre en effet que ces derniers sont souvent peu en mesure de faire valoir leurs droits sur base d'initiatives individuelles, par manque d'information, par manque de maîtrise des outils nécessaires ou par difficulté d'accès aux services juridiques, le marché locatif très tendu les place dans un rapport de force généralement défavorable face aux propriétaires.
Ainsi, sauf adoption de loyers normatifs suffisamment inférieurs aux loyers médians (avec blocage des ajustements à la hausse), l'utilisation d'un loyer de référence reflétant le marché n'est de nature ni à modérer en moyenne la charge du loyer dans le budget des ménages, ni à permettre à une part importante des ménages d'accéder sans coût supplémentaire à des logements plus conformes à leurs besoins.
Globalement, il n'y a guère de raison de penser qu'un tel dispositif contribuerait à réduire notablement les inégalités d'accès à un logement conforme aux besoins des ménages.
Ceci conduit à une troisième difficulté, d'une actualité toute particulière : un outil tel que la grille des loyers apparaît clairement inadapté à la gestion d'une crise sociale de très grande ampleur comme celle qui s'installe aujourd'hui.
Les mesures de contrôle de la pandémie et les effets du krach boursier de 2020 ont (et continueront très probablement d'avoir) des répercussions socio-économiques d'une ampleur inédite depuis la seconde guerre mondiale. La Région bruxelloise est à cet égard dans une position d'autant plus alarmante que la crise s'y déploie dans un contexte social déjà fortement précarisé.
Selon l'enquête EU-SILC 2019, dès avant la crise actuelle, 21.5% des bruxellois étaient déjà en situation de privation matérielle sévère (à titre d'exemple, lors de l'Enquête santé 2013, près d'un quart des ménages bruxellois déclaraient avoir dû reporter des soins de santé pour des raisons financières).
En 2019 toujours, 37.9% des bruxellois s'estimaient déjà incapables de faire face à une dépense imprévue et donc sans doute aussi à une chute imprévue de revenu.
De ce point de vue, les coûts liés aux logements jouent un rôle crucial. Ils représentent 38% du budget des ménages bruxellois locataires en 2018 (Enquête budget des ménages 2018), et ce n'est là qu'une moyenne qui cache des situations bien plus préoccupantes, en particulier pour les ménages à bas revenus. Parmi les 25% des ménages les plus pauvres, une fois payées l'ensemble des dépenses liées au logement, les personnes ne disposent chacune quotidiennement que de 8 euros en moyenne pour faire face à toutes les autres dépenses y compris de première nécessité: alimentation, santé, déplacements, habillement, scolarité, etc.(Enquête SILC 2017).
Selon les rapports de l'Observatoire des loyers de 2016/2015, dont les données sont à analyser avec prudence, les loyers ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus. Entre 2004 et 2016, les loyers médians ont augmenté d' environ 50 % alors que l'indice santé qui sert à l'indexation des revenus a augmenté d' environ 25 %. Si on observe des données plus anciennes, le décrochage avait déjà commencé. En effet, selon le rapport de 2004, les loyers moyens ont augmenté d' environ 85 % sur la période de 1986 à 2004 alors que l'indice santé a augmenté d' environ 40 %.
Une telle situation, même en temps normal, ne peut que conduire à des situations d'endettement et de privations majeures. Elle devient absolument critique dans le contexte de la crise actuelle, où de très nombreuses personnes se voient brutalement confrontées à une chute imprévue de leur revenus que ce soit directement sous l'effet du chômage technique, sous l'effet d'autres formes de cessations temporaires d'activité non compensées (ex. : travail informel) ou seulement partiellement compensées par les dispositifs de soutiens publics ; ou encore sous l'effet de la limitation de l'accès à diverses ressources (ex. : cantines scolaires gratuites).
L'ampleur de la crise rendra dès lors indispensables, au moins temporairement, des mesures allant bien au-delà des régulations du marché locatif qui étaient initialement envisagées.
Analyse des marges de manœuvre pour une régulation des loyers en période de crise aiguë et annulation des profits captés par les bailleurs
La description des politiques adoptées en Europe pour encadrer en situation de crise le marché locatif montre que la tendance majoritaire est de solliciter les bailleurs et non d'assurer leurs revenus, comme la Région bruxelloise l'a fait jusqu'ici via les aides aux locataires.
Nous examinerons ci-dessous trois éléments qui nous semblent inciter à reconsidérer cette option.
Premièrement, la rente locative représente une masse financière considérable dont la réaffectation partielle en faveur des ménages à faibles revenus pourrait devenir un outil majeur d'amortissement des effets sociaux de la grave crise en cours. Elle permettrait en particulier de soutenir très directement le droit fondamental à être logé, sans que les ménages doivent pour autant renoncer (encore davantage) à d'autres droits fondamentaux comme par exemple celui de se nourrir ou de se soigner.
Deuxièmement, l'analyse du profil socio-économique des bailleurs montre que la plupart d'entre eux seraient en mesure de supporter la perte temporaire de leurs profits locatifs.
Troisièmement, la réorientation temporaire de la rente locative serait de nature à orienter vers l'économie régionale, via la consommation, une partie de la rente qui lui échappe habituellement.
1. Masse financière de la rente locative
Ce point nous semble laisser peu de doutes, et nous nous contenterons ici d'estimations d'ordres de grandeurs extrêmement grossiers.
Avec quelque 250000 logements loués à Bruxelles (sans compter ici le logement social), et avec un loyer moyen de 750 €, la rente locative annuelle brute (masse annuelle des loyers) peut être évaluée à 2.25 milliard d'euros (250000 logements x 750€ x 12mois)
En retirant de cette rente annuelle brute la part liée à des charges hypothécaires, on peut estimer le reliquat à 1.00 milliard environ.
Cette estimation est en réalité très largement sous-estimée :
Il n'est certainement pas justifié de retirer globalement les revenus locatifs associés à un emprunt hypothécaire : devraient y rester intégrées les différences entre les revenus locatifs totaux et la somme annuelle des charges d'emprunt
On a ici considéré liés à des charges d'emprunts la moitié environ des logements sur le marché locatif privé bruxellois. Cette estimation correspond grossièrement au nombre de prêts hypothécaires pesant en 2019 selon la BNB sur des personnes résidant à Bruxelles (185000) rapportés au nombre de logements habités par leur propriétaire ou ayant un bailleur bruxellois (340000 : les bailleurs non bruxellois ont été écartés, puisque le nombre de prêts est donné pour Bruxelles seulement). Or :
une partie des prêts hypothécaires ne sont contractés ni pour acquérir son propre logement, ni pour investir dans le marché locatif
la fréquence des prêts hypothécaires est probablement plus élevée parmi les propriétaires occupant que parmi les propriétaires bailleurs
Reliquat libre d'emprunts = 2.25 milliard X (1 – (185000/340000)) = 1.00 milliard). En retirant enfin de ce reliquat, pour chacun des 114000 logements supposés loués sans charge d'emprunt, une somme d'entretien et de remise en état de 2000€ annuel et des impôts foncier de 1500 € (soit globalement 114000 x (2000 + 1500) € = 0.399 milliards), il resterait encore une rente locative nette disponible de l'ordre de 0.6 milliards.
Nous pouvons en déduire que cette rente locative représente une masse financière potentiellement considérable pour amortir les effets sociaux de la crise sanitaire. Remarque : ici encore, les charges d'entretien et de remise en état, choisies parmi des estimations hautes, et largement supérieures aux indications données par l'enquête sur le budget des ménages, ont été sans doute nettement surestimés.
2. Le faible nombre de propriétaires bailleurs précaires
Selon les estimations que nous avons pu réunir sur la base du cadastre 2002 (couplé à des enquêtes durant les années 2004-2005), les ménages-bailleurs ont de manière générale, et sans trop de surprise, des profils de revenus imposables très clairement supérieurs à ceux des ménages locataires.
En part des logements susceptibles d'être mis en location à Bruxelles par des personnes physiques.
17.8% seulement sont détenus par un ménage-bailleur ayant un revenu imposable inférieur au 4ième décile bruxellois (24.3% pour les revenus inférieurs au 5ième décile)
Si on exclut en plus des ménages précaires les ménages qui disposent d'un droit de propriété sur des logements à au moins deux adresses différentes ailleurs qu'à leur propre adresse de résidence, la part des logements détenus par des ménages bailleurs précaires serait seulement de 11.7% si le critère de précarité est l'appartenance aux 3 premiers déciles bruxellois (et 16,2% ou 20,8% avec l'appartenance respectivement aux 4 premiers ou 5 premiers déciles).
Ces estimations indiquent que s'il existe bien des ménages-bailleurs à faibles revenus, leur part est très minoritaire parmi les bailleurs, et plus encore évidemment parmi l'ensemble des ménages. Il faut souligner de plus que ces estimations portent sur les revenus imposables, qui excluent donc pour l'essentiel les revenus locatifs. Autrement dit, on peut donc considérer que les ménages bailleurs ne devraient pas changer de décile avec l'annulation de leurs profits locatifs.
Nous pouvons conclure que l'annulation des profits habituellement captés par les propriétaires bailleurs ne fera peser un risque de précarité que sur une part faible d'entre eux.