Les bailleurs, comme tout autre justiciable, considèrent que la voie judiciaire pour faire reconnaître leurs droits est lourde et souvent onéreuse. De plus, l'accès au prétoire est semé d'embuches car elle requiert un respect des règles de procédure, ce qui, souvent, justifie le recours à l'avocat.
N'y-a-t-il pas moyen, pour un bailleur, de choisir une autre voie ne requérant pas le pas- sage par le Tribunal lorsque le locataire ne paie pas, pour le contraindre à s'exécuter, voire même à l'expulser ?
Pas question, bien naturellement, de profiter de l'absence de son locataire pour mettre sur la rue son mobilier avant de changer les serrures...
C'est une évidence mais le rappeler n'est pas inutile, tant on entend parfois des bailleurs « excédés » envisager cette folle possibilité.
Une autre piste mérite d'être explorée mais elle a ses limites : conclure un bail par-devant notaire.
Est-ce intéressant, notamment pour des baux de résidence principale ?
Rappelons d'abord que le choix ne se pose pas pour certains types de baux qui exigent l'acte authentique.
Tel est le cas pour un bail d'une durée supérieure à 9 ans.
Pour un bail d'une durée inférieure, il s'agit d'une possibilité à laquelle, il est vrai, peu de bailleurs recourent.
Et pourtant, pour la récupération des loyers, il pourrait s'agir d'une voie plus rapide.
Nous reprendrons préalablement ce que, sur cette question, les notaires publient sur leur site.
"[...] Même si le bail est écrit, le propriétaire risque d'avoir de grandes difficultés avec son locataire si ce der- nier ne paie pas son loyer.
Pour pouvoir récupérer ce qui lui est dû, il devra s'adresser au Juge de Paix pour d'abord appeler son locataire en conciliation, puis, à défaut d'accord, obtenir un jugement condamnant le locataire à lui payer les arriérés.
La procédure peut être très longue, fastidieuse et coûteuse : délai d'introduction de l'affaire, remises, vacances judiciaires, obtention d'une nouvelle fixation, opposition du locataire qui n'a pas comparu, délai de signification du jugement, sans compter les délais d'une procédure d'appel si celle-ci est introduite.
Au terme de toute cette procédure, le propriétaire aura enfin un titre définitif qui lui permettra de récupérer les arriérés de loyer, en s'adressant à un huissier de justice.
Entretemps, le locataire occupera toujours l'immeuble, parfois sans payer son loyer.
Lorsque le bail est rédigé dans la forme d'un acte notarié, toute cette procédure peut être évitée.
L'acte a la force exécutoire, c'est-à-dire qu'il permettra au propriétaire qui constate le défaut de paiement de son locataire de s'adresser directement à l'huissier de justice pour récupérer ce qui lui est dû."
Il nous apparaît que cette approche doit être grandement nuancée.
Relevons préalablement que l'appel en conciliation n'est plus un préalable obligé.
Il est heureux que le site des notaires reprenne, en fin d'article, la phrase suivante :
" Selon les cas, l'huissier pourra néanmoins parfois estimer qu'une procédure judiciaire reste nécessaire".
Il nous est apparu alors utile d'interroger un huissier (l'huissier Etienne LEROY de Charleroi).
Celui-ci relève ce qui suit :
"S'agissant des obligations de sommes, il est certain qu'un bail dressé par acte authentique notarié constitue un titre exécutoire pour autant qu'il comporte de manière explicite et non équivoque tous les paramètres nécessaires permettant de déterminer la créance excipée, tant en principal qu'en intérêts et éventuels autres accessoires (voir notamment Cass., 12.10.2018, R.A.B.G., 2019/6, p. 506 + autres références citées par l'huissier).
S'agissant de l'expulsion, c'est effectivement douteux même si la question reste controversée, d'autant que la procédure d'expulsion en matière de bail est spécialement réglementée (art. 1344bis à 1344septies C. JUD) de sorte que se dispenser d'un contrôle judiciaire semble impossible (c'est nous qui soulignons, l'huissier ayant repris diverses références utiles confortant cette approche).
Depuis sa modification par la loi « pot-pourri-V », l'article 19, alinéa 1er de la loi de VENTOSE ? dispose certes que ... "tous actes notariés feront foi en justice et seront exécutables dans toute l'étendue du Royaume. La force exécutoire s'étend à tous les engagements qui sont contractés dans l'acte".
Après avoir expliqué que l'acte nota- rié jouait un rôle important dans la décharge des Tribunaux, le commentaire des articles des travaux préparatoires énonce que la Cour de Cassation a déjà confirmé par son Arrêt du 23 mai 1991 que la force exécutoire de l'acte notarié ne se limite pas aux obligations pécuniaires, mais s'étend aussi aux actes portant sur une obligation de faire ou de ne pas faire.
Une certaine partie de la doctrine hésite encore à appliquer cet enseignement dans tous les domaines, même si aucun texte de loi n'y apporte des limites.
Afin de maximaliser l'efficacité de cet accès à la force exécutoire et de décharger les Tribunaux de ces inter- ventions purement formelles, il est nécessaire de clarifier l'étendue de la force exécutoire de l'acte nota- rié et d'éliminer toute hésitation qui subsisterait encore à ce sujet" (Doc. Parl., CH. Repr., Sess. 2016-2017, n° 54 – 2259 – 001, p. 130).
En réalité, la question était plus controversée que ce qu'écrivent les travaux préparatoires (l'huissier renvoie à la contribution du Professeur de LEVAL sur cette question).
Que déduire de cette approche provenant, d'une part, du notaire, rédacteur de l'acte authentique et, d'autre part, de l'huissier appelé à passer à l'exécution de cet acte notarié ?
Le recours à un acte notarié permet en effet :
D'obtenir plus rapidement un titre exécutoire permettant d'aller de l'avant.
D'exercer une pression optimale légitime mettant le locataire devant ses responsabilités éventuellement par la menace d'une saisie dont toutefois le résultat reste souvent aléatoire.
N'oublions pas que dans la gestion d'une famille, le budget « loyer » est prioritaire et, lorsque ce poste ne peut être honoré, il est à craindre un déséquilibre d'une ampleur telle que la récupération du loyer reste problématique même par le biais d'une procédure d'exécution.
Le privilège du bailleur sur les meubles meublants est certes un plus mais il faut encore voir la valeur de ceux-ci par rapport à la créance existante.
Venons-en à l'essentiel : que cherche principalement le bailleur confronté à un locataire en défaut de paiement ?
Ce n'est pas tant de récupérer les loyers impayés qu'il craint d'être irrécouvrables surtout si l'arriéré est largement supérieur à la garantie locative constituée.
Il entend surtout voir le contrat résolu aux torts et griefs de son locataire et ainsi pouvoir récupérer son bien après expulsion.
Et cette expulsion, conséquence de la résolution, ne peut intervenir que si « le manquement est jugé suffisamment grave ».
Nous croyons, de notre côté, qu' il est plus cohérent de voir apprécier par un Tribunal cette gravité du manquement pour éviter toute discussion ultérieure.
Quand bien même le Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires a parfois des analyses distinctes du Professeur Nicolas BERNARD, sur cette question, nous le rejoignons et nous pensons que la matière du bail permet difficilement de conférer à un bail notarié une force exécutoire autre que pour le paiement de sommes.
Pour répondre aux observations du notariat portant sur les inconvénients de la procédure judiciaire (lenteur), nous relèverons que si, dès le deuxième mois de loyer impayés, le bailleur prend l'initiative du dépôt d'une requête, il peut très rapidement obtenir son titre tout en exerçant préalablement une pression importante.
Si, à la première audience, il y a régularisation par le paiement des arriérés, le bailleur pourra solliciter une remise pour vérifier si cette absence de paiement n'était « qu'un accident ».
Si cette régularisation n'intervient pas, il appartiendra alors au bailleur d'établir par un ensemble d'éléments que le non-paiement des loyers arriérés qui constitue un manquement grave, justifie une décision rapide du Tribunal.
Que de fois n'avons-nous pas insisté sur l'importance pour le bailleur de réagir très rapidement en cas de loyers impayés en rappelant, ce que nous avons encore fait supra, qu'un budget normalement bien géré, vise à privilégier un paiement lié à une habitation qu'on occupe.
Mais il est certain que la crise du COVID est à la base de situations dramatiques et que, dès lors, on peut aussi attendre du bailleur, dans des situations particulières, une plus grande humanité.