LA GRANDE MISERE DES JUSTICES DE PAIX DE BRUXELLES
Un pays démocratique devenu malade de sa Justice.
Les justices de paix de notre royaume, et le contentieux qu’elles traitent, permettent de connaître l’état de notre société.
Leurs compétences ont beaucoup changé depuis une cinquantaine d’années.
En 1970, avec l’application du Code judiciaire qui remplaçait l’ancien Code de procédure civile, les juges de paix gardaient la plupart de leurs compétences. Celles qu’ils ont perdues au profit d’autres tribunaux ont permis de diminuer la surcharge de leur travail.
La fonction de rendre la justice ne peut s’accomplir dans la précipitation ou le stress inévitablement généré par une quantité trop importante de dossiers à traiter.
Justice et automatisme sont incompatibles. Les juges doivent pouvoir non seulement écouter les avocats et les parties elles-mêmes, mais aussi étudier les dossiers déposés et réfléchir à la décision qu’ils vont prendre.
Si le respect du droit est primordial, le respect des personnes l’est tout autant, si pas plus. L’un ne va pas sans l’autre de toute façon.
Les considérations qui précèdent sont vraies pour tous les tribunaux, mais ce n’est pas notre préoccupation d’aujourd’hui.
L’auteur de ces lignes a fréquenté les justices de paix, surtout bruxelloises, pendant plus de 50 ans et l’on peut dire que « cela marchait ». Bien sûr, cela fonctionnait parfois moins bien. Ce n’était cependant pas structurel, mais plutôt lié à des problèmes d’insuffisance de magistrats ou de maladie de ceux-ci. Les greffiers et employés, dans tous les tribunaux d’ailleurs, étaient très compétents et participaient aussi à l’œuvre de justice. C’est encore la règle générale.
La situation bruxelloise est particulière en raison, notamment, de la nécessité prévue par la loi d’avoir des juges bilingues. Le bilinguisme judiciaire doit être parfait.
Les juges sont présumés connaître évidemment la langue de leur diplôme, mais doivent faire preuve d’une connaissance parfaite de l’autre langue de la région, en l’espèce bruxelloise.
Les examens sont très difficiles, comme le rappelait dernièrement le courageux juge de paix d’Anderlecht, qui continue à siéger à 73 ans car il n’a pas de successeur et considère que la priorité dans la vie est le service rendu à ses semblables plutôt que d’éventuelles convenances personnelles.
Bien d’autres juges de paix ont travaillé au-delà de l’âge théorique de la pension, qui pour le magistrat est d’en moyenne 68 ans, mais varie d’une fonction à l’autre.
Les justices de paix bruxelloises fonctionnaient très bien, du moins jusqu’au moment où, certainement pour des raisons budgétaires, les autorités politiques ont décidé de faire l’économie de l’existence-même de plusieurs justices de paix.
La Ville de Bruxelles, par exemple, était dotée de 9 juges de paix, 7 pour Bruxelles elle-même, en ce compris l’avenue Louise - qui pour des raisons historiques, qui ne font pas l’objet du présent article, n’est pas située sur Ixelles bien qu’elle coupe cette commune en deux, mais sur Bruxelles -, et 2 pour les territoires de Laeken et de Neder-Over-Heembeek qui constituaient les 8ème et 9ème cantons. Ne faisons pas l’inventaire de tous les changements mais notons cependant qu’il y eut une fusion des cantons, le nombre de 7 étant réduit à 3, ce qui veut évidemment dire 3 juges au lieu de 7.
La même chose pour Ixelles où il y avait 2 justices de paix alors que pour l’instant il n’y en a plus qu’une.
Et seule exception, tout à fait compréhensible d’ailleurs, c’est la création de 2 cantons au lieu d’un seul pour la commune d’Etterbeek. Le juge de paix d’Etterbeek était curieusement compétent également pour Auderghem et Watermael-Boitsfort. Le juge d’Etterbeek garda sa compétence sur la commune d’Etterbeek et une nouvelle justice de paix fut créée pour Watermael-Boitsfort et Auderghem.
On peut dire que cela fonctionnait bien jusqu’au moment où il n’y eut plus, à nouveau, qu’un juge de paix avec siège à Etterbeek pour les 3 communes précitées.
Les modifications citées ci-dessus ne sont que des exemples.
Passons maintenant à l’actualité la plus récente.
La nécessité de la publication d’un article dans LE CRI nous est venue à l’esprit à la lecture d’un courrier du 16 janvier 2024 adressé par les Présidents des tribunaux de première instance francophone et néerlandophone de Bruxelles .
Les barreaux (francophone et néerlandophone) ont diffusé aux avocats, in extenso, le contenu de leur courrier.
La situation concerne tant les justices de paix que les tribunaux de police de l’arrondissement de Bruxelles.
Pour les propriétaires et les locataires qui sont en conflit, le juge de paix est leur juge naturel.
Il s’avère qu’en septembre prochain, 2 cantons de l’arrondissement, et peut-être 3, devront fermer en raison d’un manque de juges de paix.
Judiciairement, les tribunaux de première instance, et plus spécialement leurs présidents, sont l’autorité supérieure des juges de paix de Bruxelles.
En effet, il n’y a pas de président des juges de paix.
Les deux présidents, Madame Anne DESSY pour le tribunal de première instance francophone de Bruxelles et Monsieur Simon CARDON de LICHTBUER pour le tribunal de première instance néerlandophone s’inquiètent évidemment de la situation et l’ont fait savoir par un courrier que l’on peut qualifier de solennel au ministre de la Justice dont nous ne connaissons pas, à ce jour, la réaction.
Ces deux présidents, nécessairement bien documentés, rappellent dans ce courrier que 6 cantons bruxellois sont sans titulaire et sont en fait dirigés par des juges de paix suppléants, soit des avocats qui doivent bien entendu être bilingues légaux à Bruxelles et être volontaires tout en acceptant de ne pas être payés, sauf s’ils deviennent juge de paix suppléant délégué.
Il s’avère que les juges de paix suppléants qui ont été récemment interrogés ne comptent pas poursuivre leurs activités bénévoles alors qu’ils ont un cabinet d’avocat.
Certains cantons n’ont d’ailleurs pas de suppléant.
En plus de devoir être bilingues légaux, ce qui n’est pas une sinécure vu la difficulté de l’examen, les candidats juge de paix effectifs, suppléants ou délégués doivent passer l’examen du CSJ (Conseil Supérieur de la Justice). Beaucoup échouent vu la difficulté de cet examen qui ne peut être, à l’évidence, une formalité, alors que la responsabilité que devront exercer les juges en général, et notamment les juges de paix dont il est question dans le présent article, est importante.
Va-t-on, dans l’urgence, sortir une énième loi en renvoyant le contentieux des justices de paix vers une ou plusieurs autres justices de paix, ce qui surchargera évidemment celles-ci ?
Les présidents des tribunaux qui ont écrit au ministre de la Justice (qui est aussi ministre de la Mer du Nord !... On croit rêver !) soulèvent bien entendu cette problématique qui n’intéresse pas uniquement les locataires et propriétaires, mais qui devrait intéresser tous les citoyens pouvant relever à tout moment de ces juridictions.
Rappelons que nous allons tous voter début juin prochain et que les questions dont état ci-dessus, extrêmement importantes, devront une fois de plus être débattues dans l’urgence et la précipitation et nécessairement sans vue d’ensemble des problèmes.
Tout est donc à craindre. Préparons dès-à-présent les bouts de ficelles…
En ce qui concerne plus spécialement les propriétaires-bailleurs, il faut savoir que 80%, si pas plus, des affaires traitées en justice de paix concernent le contentieux locatif.
Les récentes décisions prises par le gouvernement bruxellois, et dont il sera abondamment question dans LE CRI, ont une fois de plus compliqué la situation des propriétaires.
Alors que la population bruxelloise a considérablement augmenté ces dernières années et s’élève actuellement à 1,2 million d’habitants, une crise du logement apparaît de plus en plus.
La cause principale de cette crise est l’absence d’intérêt des propriétaires pour la mise en location de leur bien.
Notre syndicat a été créé pour défendre les bailleurs, non pas contre les locataires, mais contre les décisions abusives de l’Etat et des Régions.
Rappelons la phrase lapidaire d’un économiste scandinave qui écrivait peu après la dernière guerre mondiale : « Il y a deux façons de détruire une ville, soit la raser par des bombardements, soit bloquer les loyers ». Heureusement Bruxelles n’a pas été rasée, mais, par contre, les loyers y ont été bloqués, rabotés, etc. et les propriétaires considérés comme des abuseurs avec comme conséquence que, pour certains milieux, le nom de « bailleur » est devenu synonyme d’ « exploiteur ».
Il s’en est suivi un climat de tension avec les locataires. Nous avons déjà rappelé à de nombreuses reprises que la relation entre propriétaire et locataire n’est pas éloignée de celle qui existe entre un commerçant et ses clients.
Le client est-il l’ennemi de son boucher, boulanger, grande surface, etc. ?
La presse reprend presque chaque jour de nouvelles mesures ou des intentions des gouvernements régionaux, plus spécialement à Bruxelles, visant à alourdir les charges de toute nature pesant sur les propriétaires.
L’augmentation généralisée des précomptes immobiliers et les péréquations cadastrales, de plus en plus commune par commune, ne sont que des exemples. Tout cela est expliqué dans les nombreux articles publiés à ce sujet dans LE CRI. Nous exhortons nos membres, tous nos membres, à lire attentivement ces articles et à faire valoir leur avis auprès de nos politiciens qui sont en période pré-électorale. Nous demanderons d’ailleurs à ces derniers de prendre des positions claires au sujet de leur attitude vis-à-vis des propriétaires en général, et plus spécialement des propriétaires-bailleurs.