Certaines de nos Copropriétés, par manque de liquidités consécutif au défaut de paiement de certains copropriétaires, sont en danger.
Reconnaissons que le législateur en a été conscient, notamment par la création d’un privilège octroyé au profit des Associations de Copropriétaires.
Rappelons succinctement l’avancée intéressante liée à la mise sur pied de ce privilège.
L’article 27 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 a été modifié et son paragraphe 7 précise que les créanciers privilégiés sur les immeubles sont :
« L’Association des Copropriétaires sur le lot dans un immeuble ou groupe d’immeubles bâtis pour les charges dues relativement à ce lot.
Ce privilège est limité aux charges de l’exercice en cours et de l’exercice précédent.
Il prend rang après les privilèges des frais de justice prévus à l’article 17, le privilège visé à l’article 114 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances et les privilèges inscrits antérieurement ».
Il en résulte donc que l’Association des Copropriétaires, en cas de vente d’un lot d’un copropriétaire défaillant, verra ses charges payées par priorité, même avant d’autres créanciers tels que les banques nanties d’une hypothèque.
Comme déjà signalé, cette avancée, le SNPC peut en être fier car elle est la résultante d’un lobbying intensif.
Mais ce progrès ne dispense pas le syndic d’être actif et rapide dans la procédure susceptible de mener, s’il y a lieu, à une vente du bien.
En effet, il, ne faut pas que la vente de l’immeuble du copropriétaire défaillant intervienne alors que les charges impayées s’étalent sur de nombreuses années.
Le texte précise bien que le privilège est limité aux charges de l’exercice en cours et de l’exercice précédent.
Ainsi, si le syndic ne montre pas une certaine célérité dans le recouvrement des charges arriérées, il pourrait être craint que sa responsabilité soit mise en cause par les copropriétaires relevant que, s’il avait été plus « rapide à la détente », le privilège aurait pu rapidement jouer.
Il pourrait lui être reproché, si la dette non recouvrée porte sur des charges antérieures à l’exercice précédent et à l’exercice en cours, que son attentisme n’a pas permis à l’A.C.P. de bénéficier du privilège.
Rôle du juge de paix
Avant d’examiner les incitants possibles afin d’éviter une accumulation de charges impayées, nous nous permettrons de formuler une observation sur le rôle des Juges de Paix appelés à statuer sur les réclamations introduites par l’Association des Copropriétaires à l’égard des Copropriétaires défaillants.
Il est fréquent de voir le Juge de Paix saisi d’une demande de condamnation aux charges de Copropriété, octroyer au copropriétaire de larges termes et délais.
Nous pouvons comprendre que le Juge de Paix, comme d’autres Tribunaux, soit légitimement et naturellement sensible à la difficulté que certaines personnes ont d’honorer leurs engagements financiers.
Mais n’est-il pas parfois oublié par les Juges de Paix, très larges dans l’octroi de termes et délais, que la dette de charges, si le délai octroyé est très long, entraîne alors l’obligation pour les autres copropriétaires d’assurer en fait le rôle de banquier ?
Ils doivent en effet, par une réponse à ces appels de fonds plus importants, boucher, le « trou » consécutif à l’absence de paiement du copropriétaire défaillant.
Certes, la solidarité est une valeur essentielle aussi dans une Copropriété, mais il serait logique qu’elle soit aussi la résultante d’une décision consentie des autres copropriétaires appelés à pallier aux défaillances d’un des leurs.
Les appels de fonds plus conséquents pourraient aussi mettre en difficulté d’autres copropriétaires qui, déjà, ont des difficultés à acquitter la part correspondant à leurs quotités.
Dans un cas que nous avons connu, le copropriétaire défaillant était attrait devant le Juge pour la troisième fois et, malgré l’opposition formulée par le conseil de l’A.C.P. qui refusait de continuer encore à jouer le rôle « de banquier », le Tribunal, sensibilisé par la situation du débiteur, octroya à nouveau des termes et délais.
Les conséquences de cette décision furent importantes.
D’un côté, les autres copropriétaires durent payer davantage mais aussi, alors que pour des travaux importants à la façade, il avait été envisagé de recourir à un prêt bancaire avec conclusion d’une assurance-crédit (ATRADIUS), pour couvrir l’éventuelle défaillance dans le remboursement d’un copropriétaire, le prêt ne put être octroyé.
L’organisme bancaire, après avoir interrogé l’assureur crédit, a considéré qu’une défaillance persistante d’un des copropriétaires ne permettait pas l’octroi du crédit vu le risque déjà présent d’une absence de remboursement par un copropriétaire de sa quote-part.
Ainsi, dans l’exemple prédécrit, la Copropriété dut se résoudre à attendre la vente forcée de l’appartement du copropriétaire défaillant qui ne respectait pas les termes et délais fixés pour la troisième fois, avant d’envisager des travaux de rénovation à la façade votés en Assemblée Générale et devant être utilement financés via un prêt.
Il est donc extrêmement important, pour les avocats des Copropriétés appelées à réclamer des charges impayées, d’éclairer utilement le Tribunal sur les finances de la Copropriété et les conséquences pour les autres copropriétaires des décisions à intervenir, lorsque sont sollicités des larges termes et délais.
Comment « inciter » chaque copropriétaire à être régulier ?
La prévention par rapport à un risque étant la voie la plus sage, voyons comment « inciter » chaque copropriétaire à être régulier.
La formule que nous suggérons est la mise sur pied de pénalités en cas de retard de paiement.
Cette sanction peut en effet utilement faire réfléchir.
Certes, malgré quelques thèses distinctes sur le pouvoir d’appréciation du Tribunal par rapport à ces pénalités, il apparaît actuellement acquis que si elles sont excessives, celles-ci peuvent être réduites par le Tribunal.
Il faut donc veiller à ce qu’elles restent raisonnables, leur but étant bien naturellement dissuasif et non pas de générer un profit pour la Copropriété.
Mais comment faire en sorte que cette pénalité ne soit pas contestable et puisse être opposée à tous les copropriétaires défaillants ?
Doivent-elles être uniquement votées en Assemblée Générale ?
Doivent-elles être intégrées dans le Règlement d’Ordre Intérieur ou dans le Règlement de Copropriété ?
Depuis la modification législative de 2018, la question est à tout le moins apparemment vidée.
L’article 577/4 §1er, alinéa 4 du Code Civil précise :
« Le règlement de Copropriété doit comprendre :
…
2. Les critères motivés et le mode de calcul de la répartition des charges, ainsi que, le cas échéant, les clauses et les sanctions relatives au non-paiement des charges ».
Cet article est devenu l’article 3.85 §1 alinéa 4.
Toutefois, si certaines copropriétés ont inséré, avant l’application de cette loi, des sanctions dans le Règlement d’Ordre Intérieur, celles-ci restent applicables.
En effet, une des dispositions transitoires de la loi du 18 juin 2018 relève :
… « Nonobstant l’article 577/4 §1er, 2°, nouveau, du Code Civil, les clauses et les sanctions relatives au paiement des charges qui figurent au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi dans le Règlement d’Ordre Intérieur, conservent leurs effets conformément à l’article 577/10 §4, alinéa 2 ».
Qu’a voulu le législateur ?
Il a été sensible au souci de transparence afin que les nouveaux copropriétaires, au moment de l’achat de leur bien, soient bien conscients de ce qu’ils risquent s’ils ne sont pas réguliers.
On peut peut-être regretter que les dispositions transitoires n’aient pas prévu aussi l’efficacité des sanctions que l’Assemblée Générale avait votées, si elles n’ont pas été transposées dans le Règlement d’Ordre Intérieur.
De ces règles, en ce compris celles portant sur les dispositions transitoires, nous devons donc en déduire que les syndics doivent être particulièrement vigilants et ne pas, pour appliquer la sanction, se baser sur une décision antérieure de l’Assemblée Générale.
Il faut impérativement, soit que la sanction soit reprise dans le Règlement d’Ordre Intérieur avant le 1er janvier 2019 ou soit alors intégrée après le vote utile, dans le Règlement Général de Copropriété.
Une question d’apparence théorique mais pouvant revêtir néanmoins une importance pratique a été abordée par certains auteurs.
L’applicabilité de la sanction, si celle-ci ne résulte pas du Règlement d’Ordre Intérieur pris avant la loi de 2018, est-elle opposable aux copropriétaires récalcitrants à partir de la modification par le syndic du Règlement de Copropriété (lequel n’est pas soumis à transcription) ou à partir de la date à laquelle l’Assemblée Générale a pris la décision d’insérer dans le Règlement de Copropriété, la sanction.
Nous partageons l’analyse d’Éric RIQUIER (Revue Copropriété et Droit Immobilier, juin-juillet 2020, p. 15), lequel considère qu’« il faut prendre en compte la date à laquelle l’acte lui-même a été modifié et donc la date à laquelle l’Assemblée Générale a pris la décision d’y insérer les sanctions ».
Il reste maintenant à déterminer quel type de sanction pourrait être fixé.
Ainsi que précisé supra, les Tribunaux, si sont prévues des sanctions « trop lourdes », pourraient être appelés à réduire celles-ci, ce qui nous amène à prôner une certaine modération, quand bien même elles doivent être suffisamment dissuasives.
Nous proposerions, quant à nous, la clause suivante :
« Les charges de Copropriété impayées à l’échéance fixée par le syndic dans son appel de fonds entraînera, dès le 1er rappel envoyé par mail ou, à défaut, par recommandé, après le quinzième jour qui suit ledit appel de fonds, la débition d’un intérêt de retard de 8% l’an et d’une pénalité complémentaire de 5% sur les charges impayées »
Nous croyons utile de fixer un taux plus élevé pour l’intérêt de retard car il nous apparaît ainsi être un incitant important pour un paiement à une date rapprochée.
Conclusion
Nous pouvons donc résumer notre approche comme suit :
Il appartient à l’Association des Copropriétaires sollicitant un jugement contre un copropriétaire défaillant, d’être à suffisance explicite devant le Tribunal si sont proposés par le copropriétaire des termes et délais, et ce pour que le Tribunal statue en connaissance de cause et sache quelle peut être la répercussion de larges termes et délais octroyés au débiteur pour l’équilibre financier de la Copropriété.
Le syndic, vu le caractère limité du privilège immobilier (année précédente et exercice en cours), s’il veut que ce privilège sorte tous ses effets pour l’ensemble des charges, doit veiller à se montrer réactif et à intenter une procédure rapidement sans laisser s’accroître ces charges sur de nombreuses années.
La sanction, à défaut de paiement, si elle n’a pas été insérée dans le Règlement d’Ordre Intérieur, doit l’être dans le Règlement de Copropriété après décision de l’Assemblée Générale.
Le syndic ne doit donc pas se satisfaire d’un vote antérieur de l’Assemblée Générale pour considérer acquise, à charge du copropriétaire défaillant, la sanction votée.Cette sanction, tout en étant dissuasive, doit être raisonnable pour ne pas être réduite par le Tribunal.