L’article 909 de l’ancien code civil prévoit que les gestionnaires et membres du personnel de maison de repos ne peuvent pas recevoir des donations et legs de leurs résidents. Par un Arrêt prononcé le 3 octobre 2024, la Cour constitutionnelle a déclaré que les centres de soins résidentiels eux-mêmes ne pouvaient pas recevoir de telles libéralités. Un pas supplémentaire pour la protection des résidents contre les abus des personnes malveillantes.
Le texte légal
L’article 4.142 du Code civil (Article 909 du code civil ancien) dispose que :
« Art. 4.142. Médecins et prestataires de soin
Les professionnels des soins de santé, qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne peuvent profiter des libéralités qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.
Les gestionnaires et membres du personnel d'institutions de soins résidentiels aux personnes âgées, ne peuvent profiter des libéralités qu'une personne hébergée dans leur institution aurait faites en leur faveur durant son séjour.
Sont exceptées :
1° les libéralités rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus;
2° les libéralités au profit de parents jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite, ne soit lui-même du nombre de ces héritiers;
3° les libéralités en faveur du conjoint, du cohabitant légal ou de la personne vivant maritalement avec le disposant.
Les mêmes règles sont observées à l'égard des ministres du culte et autres ecclésiastiques, ainsi qu'à l'égard des délégués du Conseil Central Laïque. »
Cette disposition fait donc interdiction aux membres du personnel d’institutions de soins résidentiels aux personnes âgées ainsi qu’à leurs gestionnaires de recevoir des libéralités de leurs pensionnaires c’est-à-dire des donations de leur vivant mais aussi par voie testamentaire à leurs décès. L’objectif est évidemment d’éviter que des véritables vautours ne s’en prennent à des personnes fragiles et abusent de la relation thérapeutique pour obtenir des gratifications.
La question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle a été saisie d’une question préjudicielle qui porte sur la régularité de la disposition par rapport au principe d’égalité. Dans le litige d’espèce, une résidente d’un centre de soins résidentiels qui n’avait pas d’héritier avait couché celui-ci sur son testament en le désignant comme seul héritier de son patrimoine. Le centre de soins résidentiels a introduit une action en justice pour annuler des donations que la défunte avait réalisées de son vivant. Les adversaires du centre de soins résidentiels invoquent l’article 909 ancien du code civil. La Cour d’Appel d’Anvers se demande alors s’il est conforme au principe d’égalité prévu par la Constitution belge que l’interdiction de recevoir des donations et des legs ne s’applique qu’aux seules personnes physiques et non pas à la personne morale c’est-à-dire le centre de soins résidentiels lui-même.
La Cour va d’abord rappeler que l’objectif de préserver l’intégrité des relations de soins en prévenant d’éventuels abus est légitime. Il est donc régulier pour la loi de restreindre les droits d’une personne de donner ou léguer au bénéficiaire de son choix. La Cour va poursuivre son raisonnement et expose que si des personnes physiques (membres du personnel, gestionnaires, etc.) peuvent se livrer à des abus ou des manipulations sur des personnes fragiles qui résident dans le centre de soins résidentiels, ce dernier peut également chercher à se procurer un avantage patrimonial en abusant de la relation de soins. Les magistrats estiment dès lors qu’il est nécessaire de protéger les résidents des institutions de soins contre ce type d’abus.
Les enseignements de l’Arrêt du 3 octobre 2024
La Cour a donc considéré que l’article 909 de l’ancien code civil, en ce qu’il ne s’appliquait pas aux personnes morales, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Les centres de soins résidentiels ne peuvent donc plus recevoir de donations ni de legs. La Cour a néanmoins prévu que son Arrêt ne s’appliquait pas pour toutes les libéralités pour lesquelles les successions ont été clôturées et non contestées avant la date du prononcé de l’Arrêt. Concrètement, si vous avez déjà réalisé une donation à un centre de soins résidentiels avant le 4/10/2024, elle est valable. Après cette date elle est illégale. De la même manière, dans toutes les successions non clôturées pour lesquelles le centre de soins résidentiels a été mentionné dans un testament, il est impératif de ne pas délivrer le legs car il est illégal.
La Cour a donc diminué le pouvoir pour les résidents de donner ou de léguer leurs biens mais a étendu la protection dont ceux-ci bénéficient contre les abus des personnes malveillantes qui cherchent à détrousser des personnes souvent fragiles et isolées. Il n’est malheureusement pas rare que de telles manœuvres se produisent en dehors des centres de soins et il est primordial de s’assurer que la relation thérapeutique résidentielle professionnelle s’inscrive dans un cadre serein et sans abus d’aucune sorte.