Pièges du congé donné par le bailleur pour occupation personnelle

Le CRI n°475 - Juin 2023
Pièges du congé donné par le bailleur pour occupation personnelle

Bon nombre de bailleurs ne désirent pas attendre la fin du bail pour une reprise de possession de leur bien pour eux ou pour leurs proches.

Les aléas de la vie peuvent justifier ce choix : un enfant de retour de l’étranger, un époux décédé ou encore d’autres circonstances.

Notre législateur wallon a prévu cette éventualité puisque, en son article 55 §2, il relève :

« Le bailleur peut mettre fin au bail, à tout moment, en donnant congé six mois à l’avance, s’il a l’intention d’occuper le bien personnellement et effectivement… » (nous expliciterons les autres conditions de l’article par les questions présentées infra ).

Mais ATTENTION : le non-respect d’une seule des conditions de reprise qui seront développées infra entraîne une très lourde sanction.

Le texte prévoit :

« Lorsque le bailleur, sans justifier d’une circonstance exceptionnelle, ne réalise pas l’occupation dans les conditions ou les délais prévus, le preneur a droit à une indemnité équivalente à 18 mois de loyer ».

Abordons donc les différentes conditions à respecter scrupuleusement pour éviter cette lourde sanction.

Nous ne pouvons que vous conseiller l’excellent ouvrage rédigé par notre syndicat (Propriétaires – locataires, vos droits et vos devoirs, édition Région wallonne) qui examine de manière détaillée cet article 55§2.

Nous reprendrons cette analyse en la présentant par le biais de 9 questions auxquelles nous répondrons.

Propriétaires/Locataires - Vos droits et devoirs  (éd. Wallonie)
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Comme la Région Bruxelles-Capitale, la Wallonie a adapté sa législation et mis en œuvre un décret portant sur le nouveau ba
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Qu’est-ce qu’une occupation personnelle ?

Si le bailleur est une personne morale (société), cette possibilité de résiliation anticipée ne nous apparaît possible que pour fixer son siège social, une succursale ou un siège d’exploitation.

En d’autres termes, le bailleur ne peut user de cette faculté de résiliation pour loger un administrateur, un gérant ou un associé.

Quels proches du bailleur peuvent ainsi profiter de cette faculté de résiliation anticipée ?

Notre législateur les a énumérés et cette énumération est limitative.

Il s’agit des descendants, des enfants adoptifs, des ascendants, du conjoint ou cohabitant légal, des descendants, ascendants et enfants adoptifs de celui-ci, de ses collatéraux, des collatéraux du conjoint ou du cohabitant légal jusqu’au troisième degré.

Mais il y a une restriction encore en ce qui concerne les collatéraux du troisième degré puisque, alors, le délai de préavis ne peut expirer avant la fin du premier triennat à partir de l’entrée en vigueur du bail.

Que recouvre le mot « occupation » ?

Celle-ci est appréciée en fait, ce qui signifie qu’elle n’implique pas obligatoirement que l’occupant soit domicilié dans les lieux.

En cas de litige et de recours à exercer par le preneur évincé entendant obtenir l’indemnité, le bailleur qui reprend son bien pourra démontrer par toute voies de droit qu’il jouit de celui-ci.

Il est évident que celle de l’inscription au Registre de la Population est la voie la plus aisée mais il peut aussi la démontrer parce qu’il y a installé son activité professionnelle ou sa seconde résidence.

Le bailleur sera toutefois pris en défaut si l’immeuble est à simple usage de boîte aux lettres.

En cas de contestation, le bailleur pourrait produire ses factures d’électricité, de gaz ou d’eau pour montrer qu’il y a une jouissance effective du bien.

Si le bâtiment repris est grand et que l’occupant fait choix de ne jouir que d’une partie de celui-ci, il sera considéré normalement qu’une telle jouissance est suffisante.

Et si l’autre partie du bâtiment trop grand est relouée à des tiers, on pourrait considérer que la condition de jouissance reste satisfaite, sous réserve de l’application de la théorie de l’abus de droit.

Quand cette occupation doit-t-elle débuter ?

Selon l’article 55§2, cette occupation doit intervenir dans l’année qui suit l’expiration du préavis donné par le bailleur ou, en cas de prorogation, la restitution des lieux par le preneur.

Sur la question de savoir si, entre le départ du preneur et avant l’occupation personnelle du bien par la personne autorisée (voir énumération supra), le bailleur peut louer le bien à un tiers dans le cadre d’un bail de courte durée, la doctrine est divisée mais le texte de loi n’impose aucune indisponibilité pendant le délai d’un an.

Quand le congé peut-il être donné ?

A tout moment et ceci est bien naturellement déterminant car le bailleur n’est pas tenu de respecter l’échéance d’un triennat (avec la restriction reprise supra pour un collatéral du troisième degré).

Quand débute le délai de préavis de 6 mois ?

Il prend cours le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le congé a été donné.

Toutefois, si le bailleur s’est trompé et s’il appert que le préavis est inférieur à 6 mois, l’échéance est reportée jusqu’au terme qui aurait dû être respecté en vertu du Décret.

Quelles sont les mentions obligatoires du congé ?

Attention sur ce point car il ne faut pas tromper le preneur.

Le texte prévoit explicitement :

« Le congé mentionne l’identité de la personne qui occupera le bien et son lien de parenté avec le bailleur.
A la demande du preneur, le bailleur doit apporter la preuve du lien de parenté.
Le bailleur doit accéder à cette demande dans un délai de deux mois à dater de sa notification, faute de quoi le preneur peut demander la nullité du congé.
Cette action doit être intentée à peine de déchéance au plus tard deux mois avant l’expiration du délai de préavis ».

La substitution du bénéficiaire occupant est-elle permise ?

La prudence apparaît imposer que cette substitution possible soit prévue dans le congé.

Il n’est pas déterminant que cette substitution intervienne avant que ne commence l’occupation ou pendant la durée de celle-ci (voir notamment sur cette question et sur d’autres ici abordées, « Le bail de résidence principale », droit du bail, La Charte, pp. 161 et suivantes)

Le non-respect des conditions ci-avant précisées entraîne-t-il automatiquement la lourde sanction portant sur l’indemnité de 18 mois ?

Précisons qu’il y a possibilité pour le bailleur d’échapper à cette sanction s’il justifie « d’une circonstance exceptionnelle ».

Comme notamment rappelé dans l’ouvrage du SNPC (Propriétaires - locataires, Vos droits et vos devoirs), la notion de « circonstances exceptionnelles » n’est pas assimilable à celle de force majeure.

Alors que la force majeure empêche définitivement l’occupation (par exemple, l’incendie du bâtiment), la circonstance exceptionnelle ne l’empêche pas définitivement et le Juge a un pouvoir souverain d’appréciation.

Sur cette question, la jurisprudence est importante car il est évident que le bailleur mis en cause auquel il est réclamé 18 mois de loyer ne manquera pas d’argumenter pour justifier que l’interruption dans cette occupation de deux ans l’était suite à une circonstance exceptionnelle.

Les auteurs de l’ouvrage du SNPC ont relevé divers cas où les bailleurs ont été suivis par le Tribunal en ce qui concerne l’existence d’une circonstance exceptionnelle.

Ont notamment été reconnues comme circonstances exceptionnelles :

  • Un état psychique perturbé imposant un séjour en milieu psychiatrique et ensuite un séjour en centre de revalidation.

  • Une réconciliation de la fille du bailleur avec son conjoint après une séparation et qui justifie le fait que le bien qui lui était octroyé n’a pas été occupé pendant deux ans.

Par contre, les dissensions familiales amenant le bailleur à vendre l’immeuble au lieu de l’occuper, n’ont pas été reconnues comme circonstances exceptionnelles, la décision de vente étant une décision volontaire.

Il convient de souligner ici que des dispositions semblables existent en région bruxelloise (article 237, §2 du CBL) et en région flamande (article 17 du décret flamand sur la location de biens destinés à l’habitation).

En conclusion

Nous ne pouvons que recommander au bailleur entendant user de cette possibilité de résiliation pour occupation personnelle de veiller à examiner ainsi chacune des réponses aux questions ci-avant énumérées pour éviter une réclamation de 18 mois de loyer.

Certains propriétaires, quelque peu naïvement, considèrent « qu’il y a peu de chance » que le locataire, une fois les lieux quittés, revienne sur place (surtout s’il déménage assez loin) afin de vérifier les conditions d’occupation.

Ils courent là un grand risque car la sanction n’est pas légère.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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