Reprise des lieux loués : faut-il toujours passer par le juge de paix ?

Le CRI n°495 - Juin 2025
Reprise des lieux loués : faut-il toujours passer par le juge de paix ?

Lorsqu’un locataire quitte les lieux sans respecter ses engagements, le propriétaire peut-il reprendre possession du bien sans passer par la case justice ? À la lumière des récentes évolutions du Code civil, cet article examine les conditions permettant une résolution unilatérale du bail par simple notification, tout en rappelant les précautions juridiques indispensables

Ce sujet avait déjà été abordé antérieurement dans un CRI de 2009 mais, alors, le développement que nous tenions n’était basé que sur l’enseignement de la doctrine et de la jurisprudence.

Actuellement, cette piste que nous rappelons en la développant dans le présent article peut s’appuyer sur la modification du Code Civil.

Soucieux d’être pratique, il sera envisagé un cas vécu

Monsieur X, propriétaire, a pour locataire Monsieur Y, toujours en retard de paiement.

Celui-ci, alors que nous sommes au mois de décembre, quitte les lieux après avoir déménagé son mobilier à l’exception de quelques objets et vêtements de peu de valeur.

Son domicile légal reste dans les lieux loués.

Est-il possible pour le propriétaire de reprendre possession des lieux et, au besoin, de recourir à un serrurier pour rentrer dans l’immeuble abandonné dont le bail n’a pas été résolu judiciairement ?

Il s’impose, avant de répondre à la présente question, de rappeler quelques principes juridiques de base.

  1. L’intervention d’un Juge, dans la résolution d’un contrat est la règle. Elle permet de contrôler l’application d’une sanction.

  2. Toutefois, la résolution non judiciaire, appelée par les auteurs « résolution par voie de notification » est actuellement consacrée à l’article 5.90 alinéa 3 du nouveau Code Civil.

C’est ainsi qu’il est précisé à cet article :

« La résolution résulte d’une décision de justice, de l’application d’une clause résolutoire ou d’une notification du créancier au débiteur (c’est nous qui soulignons) conformément aux articles 5.91 à 5.94.

Cette résolution par notification du créancier est reprise à l’article 5.93 qui stipule :

« Après avoir pris les mesures utiles pour établir l’inexécution du débiteur, le créancier peut, à ses risque et périls, résoudre le contrat par une notification écrite au débiteur ».

Celle-ci indique les manquements qui lui sont reprochés.

Les conditions de fond propres à la résolution non judiciaire (par notification du créancier) peuvent être énumérées comme suit :

a) Le débiteur (en l’espèce, le locataire) doit être responsable de manquements contractuels suffisamment graves pour justifier une résolution judiciaire.

C’est donc un critère identique qui détermine le degré de gravité, que la résolution soit judiciaire ou non.

b) Le créancier doit adresser à son débiteur une notification par laquelle il lui communique clairement et sans ambigüité sa décision de résoudre le contrat et dans laquelle il précise le motif de la résolution non judiciaire, c’est-à-dire le ou les manquements reprochés.

Avant la réforme législative, la Cour de Cassation avait déjà esquissé cette solution (Cassation, 23 mai 2019, J.T. 2020, p. 26).

La nouveauté réside surtout dans le fait que « même en l’absence d’une clause résolutoire qui dispense le créancier d’un recours préalable au Juge, la proposition consacre la résolution dite « unilatérale » ou « par déclaration du créancier » en acceptant que le créancier puisse, à ses risques et périls, adresser une notification écrite à son débiteur déclarant résolu le contrat » (voir article 5.93 cité supra).

Voyons si, dans le cas pré-décrit, les conditions de fond sont réunies en l’espèce :

a) Quant au manquement contractuel suffisamment grave :

Partir « à la cloche de bois », surtout à l’approche de l’hiver en laissant un immeuble non chauffé et en laissant un arriéré de loyer important, vider l’immeuble de la partie la plus importante de son contenu (le mobilier constituant le privilège du bailleur), constituent des manquements graves démontrant la volonté du locataire de ne plus, dans l’avenir, respecter les termes du contrat.

b) Quant à la notification du bailleur

La notification écrite au débiteur est exigée dans une optique de protection de ce dernier.

La rédaction d’une telle notification nécessitera fréquemment l’appel à un professionnel du droit afin que ce dernier circonscrive, avec les termes adéquats, l’importance du manquement et aussi la situation d’urgence justifiant la dérogation à la règle de la résolution judiciaire.

L’assistance d’un juriste apparaît nécessaire.

En effet, si, dans le cadre d’un contrôle à posteriori des conditions de la résolution que pourrait être amené à effectuer le Juge de Paix, il appert que le bailleur a agi, dans la précipitation, avec une légèreté fautive, sa responsabilité pourrait être engagée et des dommages et intérêts pourraient être mis à sa charge.

La prudence est donc de mise.

L’assistance d’un juriste pour la rédaction d’une notification sera nettement moins onéreuse qu’une procédure judiciaire qui peut être évitée si les conditions de fond sont réunies.

Il sera bien naturellement posé la question suivante :

« A quelle adresse envoyer cette notification puisque, dans le cas ainsi exposé, le locataire a quitté les lieux tout en y laissant son domicile ? ».

Le bailleur n’a pas à être pénalisé par le fait que son preneur ne fait pas coïncider sa résidence effective avec son domicile légal.

Aussi, peut-il, par voie recommandée, adresser sa correspondance au domicile légal en espérant que le preneur ait veillé à faire les démarches utiles à la poste pour que son courrier le suive.

Dans la négative, le preneur sera seul responsable du non-acheminement du courrier à sa résidence effective.

La prudence et le respect du principe du contradictoire imposent toutefois que, si le bailleur connaît l’adresse d’un membre de la famille du preneur ou d’une de ses connaissances, le courrier soit également envoyé à ladite adresse.

Il ne pourra ainsi être reproché audit bailleur de ne pas avoir fait toute diligence pour que sa lettre de résolution parvienne bien au destinataire.

En conclusion,

nous croyons pouvoir dire que, dans un certain nombre de cas, cette procédure de résolution par voie de notification, peut être utilisée.

Elle sera surtout utile en cas de départ du locataire dont la solvabilité est précaire et lorsqu’il n’y a pas nécessité de devoir solliciter une expertise judiciaire pour les dégâts locatifs au vu de cette insolvabilité redoutée.

Il ne sert à rien de solliciter la désignation d’un expert judiciaire pour évaluer les dégâts locatifs si lesdits dégâts ne pourront jamais être payés.

Certes, pour consécration des loyers arriérés et le paiement d’une indemnité de relocation, le déblocage de la garantie locative au profit du bailleur devrait nécessiter encore le recours à la justice.

Toutefois, dans l’intervalle, il y aura eu reprise de la possession des lieux sans attendre cette décision de justice et, partant, possibilité de relocation évitant un chômage immobilier trop important.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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