Bail commercial et clauses abusives b2b : attention aux pièges

Le CRI n°451 - Février 2021
Bail commercial et clauses abusives b2b : attention aux pièges

Depuis le 1er décembre 2020, la réglementation concernant les clauses abusives dans les contrats conclus entre entreprises est entrée en vigueur en Belgique.

Une nouvelle législation

Cette réglementation que nous appellerons ci-après la « règlementation B2B » résulte d'une loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises.

La réglementation B2B ajoute entre autres dans le livre VI du Code de droit économique un titre 3/1 intitulé : « Titre 3/1. Contrats conclus entre entreprises ». Le régime des clauses abusives se retrouve aux articles VI.91/3 à VI.91/6 dudit Code.

Le bail commercial, en tant que contrat, n'y échappe pas. Ses rédacteurs ne doivent donc pas perdre de vue cette nouvelle réglementation. Quelques explications s'imposent.

Champ d'application personnel

Si le bail commercial est de nature à tomber sous le champ d'application matériel de la réglementation B2B, encore faut-il qu'il soit conclu entre bailleur(s) et locataire(s) qui répondent à la définition d'entreprise.

Une entreprise est définie comme toute personne physique ou personne morale poursuivant de manière durable un but économique, y compris ses associations.

Si bailleur(s) et locataire(s) répondent à cette définition, ce qui devra faire l'objet d'une appréciation par un juge en cas de litige entre parties, ils tomberont sous le champ d'application de la règlementation B2B.

Champ d'application temporel

La règlementation B2B s'applique en premier lieu au contrat conclu après le 1er décembre 2020. Cela signifie que si des entreprises au sens de la définition précitée concluent un bail commercial se rapportant à un immeuble situé à Malmédy le 1er février 2021, ce bail commercial sera soumis à la réglementation B2B.

Mais la réglementation B2B est aussi appelée à s'appliquer aux baux commerciaux qui sont renouvelés ou modifiés après le 1er décembre 2020.

Or nous savons que le bail commercial fait l'objet d'une réglementation spécifique pour ce qui concerne son renouvellement. Par conséquent, si un bail commercial conclu avant le 1er décembre 2020 entre entreprises vient à être renouvelé le 1er février 2021, ce bail commercial tombe dorénavant sous la règlementation B2B. Il en va de même en cas de modification(s) apportée(s) à un tel bail commercial après le 1er décembre 2020.

Critères généraux

D'une manière générale, sera abusive dans un bail commercial entre entreprises toute clause qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties.

Pour apprécier ce déséquilibre manifeste, il faut tenir compte, nous dit la réglementation B2B, de la nature des produits qui font l'objet du contrat (en l'espèce, il s'agit de l'immeuble loué), et se référer, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, à l'économie générale du contrat, aux usages commerciaux qui s'appliquent, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend. Il faut aussi tenir compte de l'exigence selon laquelle toute clause d'un contrat entre entreprises doit être rédigée de manière claire et compréhensible. Par contre, l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix ou la rémunération, d'une part, et les produits à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. En soi ce n'est en principe pas l'équilibre économique du contrat qui doit être apprécié, mais son équilibre juridique. Par exemple, en principe, il n'appartient pas d'apprécier le montant du loyer par rapport à l'(état de l')immeuble loué. La réglementation B2B ne vise pas à interdire le déséquilibre économique, mais juridique.

Liste noire

A côté de ces critères généraux, la règlementation B2B prévoit une liste dite « noire » de clauses abusives.

Cette liste comprend des clauses qui sont d'office et irréfragablement considérées comme abusives. Il est question des clauses qui ont pour objet de :

1° prévoir un engagement irrévocable de l'autre partie, alors que l'exécution des prestations de l'entreprise est soumise à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté;

2° conférer à l'entreprise le droit unilatéral d'interpréter une quelconque clause du contrat;

3° en cas de conflit, faire renoncer l'autre partie à tout moyen de recours contre l'entreprise;

4° constater de manière irréfragable la connaissance ou l'adhésion de l'autre partie à des clauses dont elle n'a pas eu, effectivement, l'occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat.

Par exemple, en vertu du point 1° ci-dessus, pourra être abusive la condition suspensive qui affecte un bail commercial et dont la réalisation dépend de la seule volonté du bailleur (par exemple : je vous loue l'immeuble si je décide de le quitter dans les 3 mois de la conclusion du bail commercial ou si les termes et conditions de votre garantie bancaire à me remettre me conviennent). Il faudra également faire attention ici à la clause par laquelle le bailleur, en tant que personne morale, conclut un bail commercial sous la condition de l'approbation de son conseil d'administration ; elle fait en effet débat et pourrait tomber sous le point 1° ci-dessus.

Liste grise

A côté de la liste noire des clauses abusives, la réglementation B2B prévoit aussi une liste dite « grise » de clauses abusives. Cette liste comprend de clauses qui sont présumées abusives avec la possibilité de renverser cette présomption.

Sont présumées abusives sauf preuve contraire, les clauses qui ont pour objet de :

1° autoriser l'entreprise à modifier unilatéralement sans raison valable le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat;

2° proroger ou renouveler tacitement un contrat à durée déterminée sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation;

3° placer, sans contrepartie, le risque économique sur une partie alors que celui-ci incombe normalement à l'autre entreprise ou à une autre partie au contrat;

4° exclure ou limiter de façon inappropriée les droits légaux d'une partie, en cas de non-exécution totale ou partielle ou d'exécution défectueuse par l'autre entreprise d'une de ses obligations contractuelles;

5° sans préjudice de l'article 1184 du Code civil, engager les parties sans spécification d'un délai raisonnable de résiliation;

6° libérer l'entreprise de sa responsabilité du fait de son dol, de sa faute grave ou de celle de ses préposés ou, sauf en cas de force majeure, du fait de toute inexécution des engagements essentiels qui font l'objet du contrat;

7° limiter les moyens de preuve que l'autre partie peut utiliser;

8° fixer des montants de dommages et intérêts réclamés en cas d'inexécution ou de retard dans l'exécution des obligations de l'autre partie qui dépassent manifestement l'étendue du préjudice susceptible d'être subi par l'entreprise.

Citons quelques exemples. Pourrait tomber sous le point 4° la clause interdisant au preneur d'invoquer l'exception d'inexécution en cas de manquement(s) du bailleur à son obligation de fournir la jouissance paisible des lieux loués. Pourrait tomber sous le point 6° la clause par laquelle le bailleur est exonéré de sa responsabilité pour quelque dommage que ce soit et pour tout vice du bien loué. Pourrait tomber sous le point 7° la clause par laquelle le locataire reconnaît qu'il a visité les lieux loués et que ces derniers se trouvent en parfait état d'entretien et de réparations, s'il est établi que le locataire n'a pu effectivement visiter les lieux avant la conclusion du bail commercial. Pourrait tomber sous le point 8° la clause qui fixe un intérêt conventionnel exorbitant en faveur du bailleur en cas de retard de paiement du loyer par le locataire.

Sanction

La sanction de la clause d'un bail commercial entre entreprises qui serait abusive au regard de la réglementation B2B est la nullité. Cette réglementation étant impérative, il est question d'une nullité relative. Seul un juge peut prononcer cette sanction. Nous vous renvoyons à l'article d'Aurélia SONJEAU paru dans le Cri de janvier 2021 pour plus de détails sur cette thématique.

Si une clause d'un bail commercial entre entreprises est déclarée nulle par un juge sur la base de la réglementation B2B, il résulte de cette même réglementation que le bail commercial reste contraignant pour les parties s'il peut subsister sans cette clause abusive.

Ainsi, prenons l'exemple d'une clause pénale inscrite dans un bail commercial entre entreprises qui prévoit que le locataire est redevable au bailleur d'une indemnité de 12 mois de loyer et de charges en cas de résolution judiciaire du bail commercial à ses torts du chef de toute inexécution par le preneur à ses obligations. Si cette clause pénale est déclarée abusive par le juge de paix, et partant de l'hypothèse que le bail commercial peut subsister sans cette clause, le bailleur ne pourra obtenir l'indemnité contractuellement prévue si le juge de paix prononce tout de même la résolution judiciaire du bail commercial aux torts du locataire. Par contre, il ne semble pas interdit au bailleur d'obtenir, malgré la nullité de la clause pénale, une indemnité de relocation et/ou des dommages et intérêts, mais alors sur la base notamment de l'article 1760 du Code civil ; dans ce contexte, le bailleur devra démontrer la réunion des conditions requises pour ce faire.

Conclusion

La règlementation B2B s'applique au bail commercial conclu, renouvelé ou modifié entre entreprises après le 1er décembre 2020. Compte tenu du régime relatif aux clauses abusives qu'elle contient, il importe dorénavant de faire attention aux clauses à insérer dans un bail commercial.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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