Notre article précédent a soulevé de nombreuses questions émanant tant de copropriétaires que de syndics, ce qui nous amène à devoir poursuivre cette analyse en tentant de répondre à celles-ci. Nous tenterons de les synthétiser. Nous n'aborderons dans le présent article que la moitié des questions posées. Dans le CRI prochain, la seconde moitié sera alors abordée et nous proposerons ultérieurement à nos membres un webinaire en ligne en lien avec les 3 articles ainsi rédigés.
1. Quelle est la procédure à suivre et le coût à supporter si la lettre de mise en demeure du syndic visant au paiement des charges n'est pas suivie d'effet ?
Le Tribunal ne peut être saisi que par la voie d'une citation en justice qui requiert l'intervention d'un huissier.
Le coût de l'intervention de l'huissier est tarifé suivant certains critères et cette somme avancée par l'A.C.P. (Association des Copropriétaires) qui, généralement, est de l'ordre de 200 à 300,00 € est intégrée dans les frais et dépens à supporter par la partie débitrice après jugement.
Dans les dépens est aussi inclus l'indemnité de procédure appelée à compenser (malheureusement pas toujours complètement si les prestations de l'avocat sont nombreuses) les frais et honoraires de celui-ci.
Ainsi, cette réclamation limitée par l'indemnité de procédure justifie que soit aussi réclamée une pénalité complémentaire à la dette de charges, laquelle ne peut toutefois, pour rappel, être présentée que si la clause pénale a été insérée dans le Règlement de
Copropriété ou si, antérieurement, elle était reprise dans le Règlement d'Ordre intérieur (voir explications dans l'article précédent).
Nous nous permettrons sur cette question de formuler une observation.
Est-il légitime, pour le recouvrement des charges de Copropriété, d'exiger du demandeur le recours à une citation en justice alors que, en matière de bail, le propriétaire, pour recouvrer ses loyers, peut user d'un mode d'introduction devant le Tribunal qui ne requiert pas l'avance de frais, soit la requête ?
Pourquoi cette différenciation ?
Ne pourrait-on pas soutenir que la créance de charges qui a, pour de multiples copropriétaires, une grande importance (afin que ceux-ci ne doivent pas jouer le « banquier » dans le cas de défaillance d'un des leurs (voir article précédent)) justifierait aussi un mode d'introduction rapide et non onéreux ?
La production d'un certificat de domicile du défendeur qui est exigée pour le dépôt d'une requête, certificat ne pouvant dater de plus de 15 jours, constitue une garantie suffisante qui permet au Tribunal de vérifier si le pli judiciaire envoyé par le Greffe l'a été à l'adresse légale.
Il nous semble que la garantie que donne la citation en justice par huissier est tout aussi bien assurée par le dépôt d'une requête.
Ne peut-on pas envisager une réforme du Code Judiciaire pour ce type de recouvrement ?
Ce serait « un plus » appréciable pour les syndics, sans doute alors plus enclins à agir rapidement dans l'intérêt de tous lorsqu'un recouvrement de charges s'impose.
2. Il arrive qu'un copropriétaire refuse de payer ses charges car il prétend détenir sur la Copropriété une créance, par exemple parce qu'il a été préjudicié par une infiltration d'eau en provenance des parties communes.
Peut-il faire obstacle alors à la demande de paiement de charges en invoquant une compensation ?
Nous pouvons comprendre cette position du Copropriétaire mais est-elle légale ?
En vertu de l'article 1290 du Code Civil :
« La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ».
Pour reprendre les commentaires des auteurs, « lorsqu'on dit que la compensation se fait de plein droit, ipso jure, cela signifie qu'elle se fait par la seule vertu de la loi, sans qu'elle ait été prononcée par le Juge, ni même opposé par une des parties ».
Mais c'est là une vue quelque peu théorique car il faut nécessairement qu'un intéressé réclame le bénéfice de cette compensation.
De plus, il faut avoir égard à l'article 1291 du Code Civil qui précise :
« La compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles... ».
Et là est la difficulté car, si la créance de charges, dûment établie par pièces et qui fait suite à l'approbation des comptes par l'Assemblée Générale, elle, est liquide, celle du copropriétaire préjudicié par une infiltration (exemple repris supra) risque de ne pas l'être au moment de la réclamation des charges.
Ainsi, quand bien même la responsabilité de l'A.C.P. (Association des Copropriétaires), gardienne des parties communes, pour les infiltrations survenues, serait certaine, l'évaluation du dommage pourrait ne pas l'être car elle requiert sans doute préalablement et contradictoirement une expertise, ne fut-ce que pour permettre une couverture par l'assurance de l'A.C.P.
Une dette contestée ou non déterminée n'est donc pas liquide et ne peut être opposée en compensation, à moins que celui qui l'oppose n'en ait la preuve en mains et ne soit en état de la justifier promptement et sommairement.
Est-ce à dire que le copropriétaire doit nécessairement et immédiatement payer sa dette de charges, alors qu'il revendique de son côté une créance certaine mais qui n'est pas encore liquide ?
A défaut de pouvoir invoquer une compensation, le copropriétaire préjudicié pourrait, par rapport à la demande en justice introduite contre lui pour les charges de Copropriété, « répondre » par une demande reconventionnelle pour voir fixer son dommage.
Mais cette demande, si elle doit être instruite et requiert notamment une expertise judiciaire, ne peut retarder le paiement des charges considérées comme une dette liquide devant être acquittée immédiatement, à défaut de contestation,
3. Pour permettre une récupération par l'A.C.P. (Association des Copropriétaires) plus aisée, le législateur a considéré qu'il y avait une solidarité dans les paiements de charges entre le nu-propriétaire et l'usufruitier (article 577/5 §3 al.7). Qu'en est-il lorsque, sur un même bien, il existe d'une part un droit de nue-propriété et d'autre part un droit « qui ressemble à l'usufruit » mais qui n'est pas exactement celui-là, tel qu'un droit d'habitation ?
La solidarité actuellement reconnue est un pas important dans le cadre du recouvrement.
Elle facilite grandement la tâche du syndic.
Cette règle de la solidarité avait déjà été reconnue par une jurisprudence antérieure mais, très justement, il y avait sur ce point « un certain flottement ».
Et c'est donc au nu-propriétaire et à l'usufruitier, si une réclamation de charges leur est adressée, après paiement, de se répartir entre eux ce qui sera à charge de l'un et à charge de l'autre.
Rien n'empêche que ceux-ci rédigent une convention aux termes de laquelle il serait convenu que l'un ou l'autre, in fine, supporte la totalité des charges.
Mais le législateur n'a-t-il pas oublié lorsque cette règle fut mise sur pied, qu'il existe d'autres droits réels démembrés, très proches de l'usufruit ?
Nous pensons notamment au droit d'usage et au droit d'habitation qui ne sont, en réalité, que deux variantes de l'usufruit.
Il s'agit en effet d'usufruit réduit.
Ainsi, le droit d'usage prévoit que l'usager peut jouir du bien mais seulement pour ses propres besoins et ceux de sa famille. Le droit d'usage doit être exercé personnellement et ne peut être cédé. Si l'usager vient à quitter les lieux, il peut être déchu de son droit d'usage. Il ne peut donc pas non plus donner le bien en location.
Quant au droit d'habitation, il est encore plus réduit pour son titulaire ; ce droit porte sur une maison.
Ces deux droits ne peuvent exister que par convention ou testament et il est vrai que le projet du nouveau Code Civil envisage leur suppression.
Mais actuellement, il faut « composer » avec leur existence.
Peut-on dire, parce que ces deux droits sont « des variantes » de l'usufruit, que la solidarité s'applique aussi lorsqu'il y a un tel démembrement du droit de propriété ?
La question reste ouverte.
Certes, la loi sur la Copropriété ne mentionne de solidarité qu'en cas d'existence du droit d'usufruit.
Mais si l'on part du principe que ces deux droits sont des « droits d'usufruit limités », il faudrait alors retenir l'existence d'une solidarité.
Nous ne connaissons pas, à ce stade, de jurisprudence sur cette question. En cas de contestation de cette solidarité, il pourrait être imaginé que le Juge De Paix pose à la Cour constitutionnelle une question au cas où une partie s'opposerait à la solidarité entre les titulaires de ces deux droits démembrés que sont l'usage et l'habitation. La question porterait sur la contrariété d'une interprétation restrictive par rapport aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Nous continuerons à répondre aux autres questions, en rapport avec notre sujet des impayés dans les copropriétés, dans notre prochain article.