Une décision du Juge de Paix de WAVRE du 06 août 2021 parue dans la Revue « Copropriété Droit Immobilier » (RCDI, décembre 2021/4, p. 29) nous apparaît d’un grand intérêt.
Il suscite aussi en notre chef une réflexion sur le calcul des majorités requises pour la réalisation de travaux que tous s’accordent à dire d’une grande utilité en cette période de crise de l’énergie qui risque de durer et de grever un bon nombre de budget.
Nous nous permettrons préalablement de reprendre tel quel le commentaire précédant la publication de la décision.
« La décision de l’Assemblée Générale qui refuse d’accéder à la demande de deux copropriétaires de placer des panneaux photovoltaïques, au motif que la majorité des copropriétaires souhaite la mise en œuvre d’une solution globale, est abusive dès lors que le Juge de Paix relève que six mois après la décision contestée, l’audit énergétique envisagé n’existe toujours pas et que la décision litigieuse ne témoigne pas de la volonté réelle de mettre en œuvre une solution qui serait profitable à l’ensemble des copropriétaires.
Si la recherche d’une solution globale, quant à la consommation d’énergie pourrait en soi paraître un motif raisonnable permettant de s’opposer à des tentatives individuelles, le Tribunal estime que la proportionnalité entre l’avantage recherché et les inconvénients causés n’est pas respectée.
Si la décision prise est abusive en son principe, le Tribunal se limite à réformer la décision afin de permettre à l’Assemblée de se prononcer, s’il échet, sur un projet alternatif crédible ou sur les conditions auxquelles le droit d’utiliser la toiture pour aménager des panneaux solaires pourrait être octroyée à un copropriétaire qui en ferait la demande ».
Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de cette décision.
Sur l’importance de la décision prise
Dans sa motivation, le Juge de Paix, reprenant le motif d’une décision d’un de ses collègues, relève :
« Il est hautement abusif, dans le contexte actuel de réchauffement climatique, de mettre des obstacles à la production d’énergie verte pour des seules raisons esthétiques ».
Il relève également :
« A juste titre, en termes de conclusions, l’Association des Copropriétaires de la V.V. fait valoir que le projet soulève bon nombre de questions en termes de responsabilité en cas de dégâts à la toiture ou aux panneaux ou du sort des panneaux en cas d’aliénation du lot privatif du demandeur ».
Sur le caractère abusif du refus de l’A.G.
Mais quand peut-on dire qu’une décision est abusive ?
Le concept est et restera toujours difficile à cerner et l’appréciation du magistrat cantonal reste très grande.
L’abus est établi lorsqu’il existe une disproportion entre l’avantage recherché (en l’espèce, une économie substantielle et une société plus verte) et, d’autre part, les inconvénients causés (en l’espèce, cela peut être, outre le coût de l’investissement, le risque de dégâts à la toiture, les inconvénients liés aux travaux, etc.).
Il est évident que, pour une dépense qui serait supportée par la Copropriété en vue de procurer un avantage à tous les copropriétaires, l’approche, lors d’un vote des copropriétaires-occupants (devant eux-mêmes supporter la dette d’énergie) et de ceux non-occupants (laissant le support de cette dette aux locataires) sera bien distincte.
Il peut en être de même pour des copropriétaires âgés susceptibles de profiter de cet investissement un temps moindre et donc de ne pas rentabiliser celui-ci.
Le Tribunal, conscient de cette problématique, a donc, très intelligemment, considéré ce qui était la base de l’abus.
Il relève :
« Force est cependant de constater que six mois après la décision contestée, l’audit énergétique envisagé n’existe toujours pas, même en germes… ».
Ainsi, ce qui serait abusif aux yeux du Tribunal, c’est de faire preuve d’une grande inertie dans ce contexte d’économie d’énergie indispensable.
C’est donc essentiellement l’absence d’audit énergétique, alors qu’une demande avait été formée par deux copropriétaires, qui apparaît être « abusive ».
Sur la limite de la compétence du Tribunal
Le Tribunal se garde bien de prendre la place de l’Assemblée Générale.
Certes, le Tribunal, en vertu du nouvel article 3.92 §3 (ancien article 577/9, §2) peut annuler ou réformer, ce dernier verbe (réformer) donnant au magistrat une possibilité de se substituer à l’Assemblée Générale par une décision sur le point contesté.
Mais nous remarquons, après étude des nombreux jugements, que les Juges de Paix vont rarement aussi loin (sauf dans le cas d’extrême urgence) et nous leur donnons raison.
Le Juge de Paix a « un peu » le rôle d’une Cour de Cassation.
De même que celle-ci renvoie à la juridiction du fond, le Juge de Paix renvoie à l’Assemblée Générale qui est souveraine.
C’est ce qui fut fait dans le cas présent même si le mot « réformer » est utilisé, puisqu’il est précisé :
« Le Tribunal doit ici se limiter à réformer la décision afin de permettre à l’Assemblée de se prononcer s’il échet sur un projet alternatif crédible ou sur les conditions auxquelles le droit d’utiliser la toiture pour aménager des panneaux solaires, pourrait être octroyé à Monsieur A. W. ou à tout copropriétaire qui en ferait la demande ».
Le Tribunal se permet aussi, dans sa motivation, de proposer une voie puisqu’il relève :
« La recherche d’une solution globale (c’est nous qui soulignons) quant à la consommation d’énergie, pourrait en soi paraître un motif raisonnable permettant de s’opposer à des tentatives individuelles (c’est nous qui soulignons) »
Sur les propositions du Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires.
Vu le nombre de logements existants sous le régime de la copropriété et, partant, l’importance d’inciter les copropriétaires à, à tout le moins, envisager un mode alternatif d’énergie, ne pourrait-on pas demander que le syndic soit investi d’une mission complémentaire à celles déjà reprises dans l’article 3.89 §5 ?
Cet article énumère toutes les missions du syndic.
Elles sont au nombre de 16.
Ne pourrions-nous pas solliciter une réforme pour insertion d’une 17ème mission, le syndic étant ainsi chargé « de solliciter l’autorisation de l’Assemblée Générale pour la réalisation d’un audit énergétique ? ».
Il ne peut évidemment être question d’imposer, à tout le moins à ce stade, une quelconque obligation mais il nous apparaît légitime que les copropriétaires puissent se rendre compte de l’importance d’une énergie alternative.
Enfin, si, après un vote à la majorité absolue sur l’intérêt d’un tel audit et après dépôt d’un rapport, les copropriétaires en viennent à devoir voter afin de voir réaliser des travaux utiles portant sur le placement de panneaux photovoltaïques (ou de toute autre forme d’énergie verte), il se posera la question du quorum de vote pour entreprendre de tels travaux.
Comme déjà précisé, une solution globale apparaît préférable à des solutions individuelles.
Relevons tout d’abord que, même si le choix d’une économie plus verte est un choix qui porte sur la consommation des parties privatives, le nouvel article 3.88 §1er, 1.d. (ancien article 577/7, 1.e.) précise que l’A.G décide à la majorité des 2/3 des voix « moyennant une motivation spéciale, de l’exécution de travaux à certaines parties privatives qui, pour des raisons techniques ou économiques, sera assurée par l’Association des Copropriétaires. Cette décision ne modifie pas la répartition des coûts de l’exécution de ces travaux entre les copropriétaires ».
En conséquence, la partie des travaux qui devrait être réalisée dans des parties privatives pour pouvoir bénéficier de cet investissement, ne pose pas de difficulté en ce qui concerne la compétence de l’Assemblée Générale.
Mais cette majorité des 2/3 ne constitue-t-elle pas « un frein trop important » ? Ne faudrait-il pas accepter une majorité moins difficile à atteindre ?
Il faut évidemment espérer que la conscientisation de la nécessité de changement de mode d’énergie permettra un vote grandement majoritaire mais rien n’est certain.
Et, si cette majorité des 2/3 n’est pas atteinte, le recours au Juge de Paix pour un vote « abusif » négatif resterait possible.
Mais alors que fera le Juge de Paix ?
Certains seront sans doute « plus verts » que d’autres et pourraient aller, vu le pouvoir d’appréciation dont ils disposent, après annulation possible, jusqu’à une réformation en imposant des travaux…
Il s’agirait alors, au nom de l’intérêt général, d’une immixtion plus importante des magistrats cantonaux dans les choix des Copropriétés.
Nous suivrons avec grand intérêt les prochaines décisions rendues sur cette question et, peut-être, une nouvelle légère refonte du Droit de la Copropriété justifiée par cette crise de l’énergie susceptible de durer.