Encadrement des loyers à Bruxelles : enjeux, défis et perspectives d'Avenir

Encadrement des loyers à Bruxelles : enjeux, défis et perspectives d'Avenir
Olivier de Clippele et Patrick Willems face à la Commission Logement du Parlement bruxellois

Le 27 février, le Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires (SNPC) a été auditionné par la Commission du Logement du Parlement bruxellois dans le cadre de l'examen d'un texte portant sur le plafonnement des loyers. Cette audition, qui a duré près de quatre heures, a permis au SNPC d'exprimer clairement sa position et ses arguments avant d'engager un échange constructif avec les députés. Il nous semble essentiel de vous faire connaître le message porté à cette occasion.

Depuis plusieurs mois, une commission paritaire a entamé ses travaux. Composée de représentants des bailleurs et des locataires, elle doit statuer sur le caractère abusif des loyers. Toutefois, ses avis ne sont pas contraignants. Alors que la formation d’un gouvernement se fait toujours attendre, les partis Écolo, PS et PTB souhaitent leur donner plus de poids et ont déposé un texte au Parlement allant dans ce sens. C’est dans ce contexte que le SNPC, Embuild et l’UPSI ont été invités à la Commission du Logement du Parlement bruxellois pour exposer leur point de vue. Olivier de Clippele, Président du SNPC bruxellois, et Patrick Willems, Secrétaire général, y ont porté la voix des propriétaires bailleurs

En préambule, les représentants du SNPC ont regretté un débat trop souvent clivant, opposant systématiquement propriétaires et locataires. "Il n’y a pas de mépris ni de caricature des locataires dans le chef des bailleurs", a souligné Patrick Willems. "La relation contractuelle entre un propriétaire et un locataire repose sur un équilibre. Pourtant, une tendance actuelle, encouragée par certains acteurs politiques et associatifs, présente les bailleurs comme des 'profiteurs' ou des 'multipropriétaires' s’enrichissant au détriment des locataires".

Le SNPC s’inquiète de l’adoption d’une nouvelle législation qui pourrait décourager l’investissement dans le marché locatif privé et réduire l’offre de logements. Pour illustrer ces effets pervers, les représentants du syndicat ont cité des exemples internationaux révélant les conséquences inattendues des politiques d'encadrement des loyers.

Le contrôle des loyers : LA fausse bonne idée !

Ne nous y trompons pas : les notions de "commission paritaire locative" ou de "grille indicative des loyers" sont, pour certains élus, des étapes vers l’instauration d’un véritable contrôle des loyers.

L'encadrement des loyers n’est pas une idée nouvelle. De nombreuses grandes villes et pays l'ont expérimenté avec des résultats contrastés.

En 1971, l'économiste suédois Assar Lindbeck (1930-2020), spécialiste de l'économie institutionnelle et professeur à l'université de Stockholm, déclarait de manière provocante : "Le contrôle des loyers semble actuellement la technique la plus efficace pour détruire une ville, à l’exception du bombardement." Cette citation, extraite de son ouvrage The Political Economy of the New Left: An Outsider’s View, critique certaines interventions étatiques qui, selon lui, génèrent plus de déséquilibres qu’elles n’en résolvent.

En Suède, une liste d’attente 70 fois supérieure à l’offre !

Depuis des décennies, la Suède applique un contrôle strict des loyers. Après 80 ans de ce régime, les loyers suédois sont aujourd’hui estimés à environ 50 % de ce qu’ils seraient dans un marché libre.

À Stockholm, pour gérer la pénurie d’appartements, une liste d’attente a été instaurée, classant les candidats selon leur antériorité. Les jeunes Suédois s’inscrivent souvent le jour de leurs 18 ans. Plus de 700 000 habitants (sur une population de 975 000) sont "en attente" pour moins de 10 000 logements mis en location chaque année.

L’Argentine : un échec économique

En 2020, l’Argentine a adopté une loi d’encadrement des loyers pour limiter la hausse des prix et protéger les locataires. Le résultat fut catastrophique : en trois ans, les loyers ont augmenté de 40 % au-dessus de l’inflation. Face à ce fiasco, le président Javier Milei a abrogé la loi en décembre 2023. En quelques semaines, l’offre locative a doublé et les loyers ont chuté de 20 %. The Wall Street Journal rapporte même une augmentation de 170 % de l’offre et une chute des loyers réels de 40 % après ajustement à l’inflation.

Berlin : un revirement nécessaire

En 2020, Berlin a mis en place un gel des loyers pour cinq ans afin de contenir la flambée des prix. Ce dispositif a eu des conséquences dramatiques : chute de l’offre locative, découragement des propriétaires et multiplication des pratiques illégales de sous-location. La Cour constitutionnelle allemande a finalement invalidé cette loi en 2021, permettant un retour à un marché plus équilibré.

Quelles sont les conséquences constatées de la régulation ?

Gregory Verdugo, chercheur à Sciences Po Paris, résume la situation ainsi : "Si le contrôle des loyers a pour conséquence de faire baisser les loyers, il entraîne aussi une chute de l’offre de logements, aggravant la pénurie initiale. Pour un économiste, la messe est dite : le contrôle des loyers profite aux locataires en place mais aggrave la situation de ceux qui cherchent à se loger."

Bien entendu, la conséquence la plus évidente est la diminution de l’offre locative. C’est déjà une réalité à Bruxelles, où ces cinq dernières années ont été particulièrement hostiles aux bailleurs. Les multiples mesures adoptées – instauration d’un moratoire hivernal, interdiction ou limitation de l’indexation en fonction du PEB, augmentation du précompte immobilier, droit de préférence, allongement et complexification des procédures judiciaires, double enregistrement des baux, contrôles mystères pour lutter contre la discrimination, délais d’obtention des permis – ont contribué à freiner le marché.

Si certaines de ces dispositions peuvent se justifier, force est de constater que la politique menée durant cette dernière législature a été déséquilibrée et pénalisera, à terme, les locataires eux-mêmes. On observe d’ores et déjà une diminution du nombre de baux signés et une contraction de l’offre locative.

Toutefois, la pénurie de logements n’est pas la seule conséquence. Les expériences citées précédemment mettent en lumière d’autres effets indésirables qu’il ne faut pas sous-estimer. Parmi les plus significatifs :

  • Rareté de l’offre locative
    Lorsqu’un contrôle ou un encadrement strict des loyers est imposé, les effets pervers se manifestent rapidement. À première vue, ces mesures semblent protéger les locataires contre des hausses excessives, mais elles entraînent en réalité une pénurie de logements et une allocation inefficace de l’habitat. De nombreux propriétaires choisissent de retirer leur bien du marché locatif en le vendant ou en le convertissant en location courte durée (Airbnb), limitant encore davantage l’offre disponible.

  • Marché noir et contournement des règles
    Dans un contexte de pénurie administrée, un marché noir de la location émerge inévitablement. Chassé par la porte, le marché revient par la fenêtre. Certains locataires, plutôt que de rendre leur bail lorsqu’ils deviennent propriétaires ou déménagent, choisissent de sous-louer leur appartement sur le marché parallèle. Ils captent ainsi la différence entre le loyer encadré et le loyer de marché, un bénéfice qui, en l’absence de régulation, aurait dû revenir au bailleur.

    Ce système favorise les effets d’aubaine : les locataires qui, après une longue attente, accèdent à un logement encadré, bénéficient d’un loyer artificiellement bas tant qu’ils l’occupent, puis génèrent un revenu supplémentaire en sous-louant leur bien. Pendant ce temps, d’autres familles peinent à se loger, contraintes de rester dans des logements inadaptés, tandis que des personnes seules occupent des appartements trop grands, faute d’alternatives.

  • Blocage de la mobilité résidentielle et professionnelle
    L’encadrement des loyers freine la mobilité résidentielle et professionnelle. Un locataire bénéficiant d’un bail avantageux hésitera à déménager même si ses besoins évoluent, ce qui rigidifie le marché du travail en limitant les déplacements liés aux opportunités professionnelles. En conséquence, les travailleurs peinent à se rapprocher de leur emploi et la fluidité du marché immobilier en pâtit.

  • Gentrification et inégalités accrues
    Contrairement à son objectif initial, l’encadrement des loyers peut accentuer la gentrification. Les propriétaires, face à une forte demande et à une offre limitée, sélectionnent les locataires les plus solvables, excluant ainsi les ménages modestes des quartiers prisés. Par ailleurs, ceux qui bénéficient déjà d’un logement à loyer encadré n’ont aucune incitation à le libérer, même si leur situation financière s’améliore, bloquant l’accès à ceux qui en auraient réellement besoin.

  • Dégradation du parc immobilier
    Avec une rentabilité locative réduite, les propriétaires ont moins d’incitations à entretenir et rénover leurs biens. Le parc immobilier et la qualité des logements, tend alors à se détériorer. En effet, le prix de la grille indicative se base sur la surface ou la présence de certains équipements, pas sur des murs rafraîchis ou un système d’éclairage LED…
    Dans le même temps, les nouveaux projets de construction deviennent moins attractifs pour les investisseurs. L’offre de logements de qualité diminue, aggravant ainsi la crise du logement.

Si certaines expériences, comme celle de Vienne, montrent que des modèles alternatifs peuvent limiter ces effets négatifs, les études notent cependant des contextes tout à fait particuliers.

Selon le micro-recensement de 2022, 43 % des ménages viennois résident dans des logements subventionnés : 20,7 % dans des Gemeindebau (logements sociaux communaux) et 22 % dans des logements gérés par des OBNL (comparables à des AIS). Environ un million de personnes, soit la moitié de la population viennoise, vivent dans des appartements sociaux ou d'autres types de logements subventionnés. (Sources : Policy Options et Euronews). Mais, à moins que la Région n’investisse soudainement massivement dans le développement de logements publics, on est loin de rencontrer ce contexte à Bruxelles qui semble dès lors compter sur le parc privé pour faire du logement social à moindre frais …et masquer ainsi une politique du logement défaillante depuis de nombreuses années !

La grille indicative des loyers : un outil contestable !

Un des points centraux du débat est la grille indicative des loyers. Comme son nom l’indique, cette grille est censée refléter le marché mais sa structure et ses prix demeurent nébuleux et, dans tous les cas, complètement déconnectés du marché locatif.

Une enquête menée en 2023 par le SNPC auprès de ses membres révèle que, sur un échantillon de 425 logements en location, plus de la moitié (53%) des loyers pratiqués seraient considérés comme abusifs selon les critères de la grille actuelle.

"Comment justifier qu’un loyer correspondant à la médiane du marché soit jugé abusif ?", s’interroge Patrick Willems.

Le SNPC appelle donc à une révision complète de cette grille, basée sur des données réelles, notamment celles issues de l’enregistrement des baux.

Si l'objectif est de susciter l'adhésion des citoyens à ce mécanisme, il est essentiel de le revoir au préalable et de disposer d’un outil sérieux et représentatif plutôt que d’un trompe l’œil qui ne représente que la volonté de certains de faire plonger les loyers.

La précipitation de mettre en œuvre les articles de l'ordonnance activant la grille est d'autant plus incompréhensible que le système d'enregistrement des baux récemment mis en place en région bruxelloise permettra, dans un délai relativement court, d’obtenir des données fiables et représentatives du marché locatif. Ces données pourraient alors servir à établir une grille véritablement indicative, fondée sur des bases solides et objectives.

DéFI, par l’intermédiaire de la Députée Joëlle Maison, a d'ailleurs déposé un texte qui activerait les articles manquant dans l'ordonnance en janvier 2027. Ce délai permettrait à la Région de revoir la grille et de la rendre indicative sur base de chiffres sérieux.

En conclusion, un appel au dialogue et des solutions équilibrées

Loin de s’opposer à toute réforme, le SNPC appelle les autorités à travailler en concertation avec les bailleurs pour trouver des solutions équilibrées. Comme l’a conclu Olivier de Clipelle lors de l’audition : "Nous tendons la main au monde politique pour avancer ensemble. Seul un dialogue constructif permettra d’éviter que l’encadrement des loyers ne se transforme en un frein à l’investissement et à la mobilité locative."

L’avenir du marché locatif bruxellois repose sur un équilibre subtil et un maintien de l’attractivité pour les investisseurs. Bruxelles doit tirer les leçons des expériences internationales et privilégier des politiques favorisant une offre locative suffisante, seule garantie d’un accès au logement pour tous.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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