Le monde de l’immobilier et des entrepreneurs unit ses forces pour marquer son désaccord à l’égard de l’encadrement des loyers dans la Région de Bruxelles-Capitale et va entamer une procédure auprès de la Cour constitutionnelle.
« La principale victime de l’encadrement des loyers est le locataire lui-même »
Selon le secteur, même si la mesure part d’une bonne intention, le modèle mis en place pourrait bien avoir l’effet opposé : moins de logements locatifs et une augmentation de prix. Cette législation va aggraver la problématique de l'accès au logement à Bruxelles en freinant l'investissement et la mise sur le marché de nouveaux biens.
Les fédérations (inter)sectorielles sont unanimes : « Nous reconnaissons l’importance et l’urgence de protéger le locataire contre les loyers abusifs, mais la grille de loyers est totalement obsolète et non représentative. Au lieu de lutter contre les abus, il provoque une dégradation du marché locatif. Le résultat sera des logements de mauvaise qualité. »
Les experts constatent déjà clairement que les investisseurs fuient ou délaissent Bruxelles à cause du manque de rentabilité ou d’un risque trop élevé. À la suite de l’adoption du régime de loyers plus strict, les investissements dans l’immobilier résidentiel ont déjà chuté de près de 36 % en 2024 par rapport à 2023. Le nombre d’annonces de location a également dégringolé de 20 % ces derniers mois.
Les organisations sectorielles comme UPSI-BVS, Embuild Brussel, CIB, SNPC-NEMS, Federia, et intersectorielles BECI et UCM demandent des mesures fortes pour éviter l’exacerbation de la crise des logements locatifs qui sévit à Bruxelles.
Bien qu’il n’y ait toujours pas de gouvernement bruxellois et que la situation politique se trouve dans une impasse complète, l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 28 octobre 2021 a malgré tout été votée au Parlement bruxellois. Présentée comme une « mesure pour lutter contre les loyers abusifs », elle est entrée en vigueur le 1er mai 2025. Une ancienne grille de loyers de 2017-2020 (basée sur seulement 14.000 loyers anciens) est désormais l’outil pour déterminer si un loyer actuel est juridiquement considéré comme abusif.
En effet, les locataires ont désormais la possibilité de saisir la commission paritaire locative afin d'obtenir un avis sur la « justesse » de leur loyer. On ne sait cependant toujours pas dans quelle mesure la commission paritaire locative et le juge de paix tiendront réellement compte des facteurs spécifiques justifiant le montant des loyers, tels l'emplacement particulier, son niveau de rénovation ou le choix des matériaux utilisés. Si l'ordonnance bruxelloise prévoit que des « facteurs de confort substantiels » peuvent être pris en compte pour évaluer la justesse d’un loyer, l’ordonnance ne définit pas ce que cette notion recouvre. Ce manque de précision engendre une grande insécurité juridique, préjudiciable tant aux locataires qu'aux propriétaires.
Nous reconnaissons l’importance et l’urgence de protéger le locataire contre les loyers abusifs, mais la grille de loyers est totalement obsolète et non représentative
Les précédentes inquiétudes exprimées par le secteur lors d’auditions à la commission du logement du Parlement bruxellois n’ont pas du tout été prises en compte.
Les fédérations professionnelles estiment qu’une mesure avec des conséquences d’une telle ampleur sur le marché de la location aurait dû être préparée nettement plus minutieusement, et en concertation avec toutes les parties prenantes. Remarque : d’après la grille de loyers utilisée, 50 % (!) des nouveaux baux conclus sont juridiquement considérés comme abusifs. Les organisations professionnelles considèrent que cette situation est problématique et perturbe fortement le marché locatif.
Pour cette raison, sept organisations professionnelles ont décidé d’entamer une procédure qui sera bientôt introduite devant la Cour constitutionnelle. L’objectif de celle-ci est d’obtenir l’annulation des récentes mesures qui sont entrées en vigueur, notamment en raison de l’atteinte disproportionné au droit de propriété qui en découle.
Le secteur de l’immobilier et des entrepreneurs demande également au monde politique bruxellois de :
suspendre l’ordonnance dans l’attente d’une grille de loyers basée sur des données représentatives, fiables et actualisées ;
réévaluer le mécanisme de l’interdiction des loyers abusifs, de manière à cibler les logements les plus précaires et les marchands de sommeil ;
mener le débat au niveau gouvernemental, avec l’implication de tous les acteurs et en tenant compte de toutes les conséquences économiques, juridiques et sociales ;
mettre en place d’autres mesures pour revitaliser le marché locatif bruxellois, comme :
une baisse du précompte immobilier pour les logements locatifs peu énergivores et de bonne qualité ;
une accélération des procédures d’obtention de permis juridiquement sûres, en limitant les abus en matière de procédures de recours ;
favoriser la collaboration entre le secteur public et privé afin de renforcer l’offre structurelle de logements locatifs abordables.
Impact négatif
Le secteur prédit que l’interdiction des loyers abusifs, telle qu’elle est actuellement conçue, aura l’effet inverse de celui escompté. En effet, la véritable cause de la hausse des loyers est le manque criant d’offre, alors que la population bruxelloise ne cesse de croître. Et la situation n’est pas prête de s’améliorer. La simple annonce de l’entrée en vigueur de l’interdiction des loyers abusifs a suffi à décourager davantage les investisseurs et les bailleurs. Le nombre d’annonces de location sur le marché bruxellois a chuté début 2025 de plus de 20 % par rapport à début 2024. Et selon la CIB et Federia, le nombre de nouveaux contrats de location a chuté de 10 % en 2024 par rapport à 2023. Cette tendance à la baisse est déjà en cours depuis 2021.
Et ce n’est pas une surprise. Environ 86 % du marché locatif bruxellois appartiennent à des particuliers, notamment des personnes qui louent un appartement pour étoffer leur pension. Celles-ci sont contraintes de louer à perte et finissent par se décourager. Dans ce contexte, ces personnes ne seront pas en mesure d’investir dans la rénovation ou des installations économes en énergie. Cette constatation se reflète également dans les chiffres : les investissements dans l’immobilier résidentiel ont chuté en 2024 de 36 % par rapport à 2023. Au niveau des projets de construction et de rénovation, un recul a également été constaté : entre le troisième trimestre de 2021 et le troisième trimestre de 2024, les investissements ont baissé de 11,2 %.
Katrien Kempe de l’Union professionnelle du secteur immobilier (UPSI-BVS) : « La mesure qui part d’une bonne intention a pour conséquence une réduction du nombre de logements et une explosion des prix, en plus d’un ralentissement des investissements et d’une détérioration des conditions de logement. Cette politique touche en premier les locataires. Les locataires potentiels avec des revenus modestes ont de plus en plus de difficultés à trouver un logement abordable et de qualité. Ils sont les principales victimes de cette politique irréfléchie. L’intégralité du marché locatif est ainsi bouleversée. On constate d’ailleurs que les expériences à l’étranger mènent à échec. »
Loin de la réalité
Un récent cas avec la commission paritaire locative d’Etterbeek illustre à quel point l’interdiction des loyers abusifs, telle qu’elle est actuellement conçue, est déconnectée de la réalité du terrain. Sur base de cette interdiction, entrée en vigueur le 1er mai 2025, le locataire d’un appartement de deux chambres entièrement rénovées à un emplacement idéal à proximité des institutions européennes a été contesté son loyer comme étant « abusif » et sollicité l’avis de la commission paritaire locative. Le montant de son loyer s’élève à 1.359 euros par mois, mais la grille des loyers établie par le Gouvernement bruxellois fixe un loyer de référence de seulement 1.002 euros pour un tel appartement.
Le propriétaire a été entendu par la commission paritaire locative et n’a disposé que de cinq jours pour préparer son dossier. La séance n’a duré seulement quinze minutes. Des sujets cruciaux tels l’emplacement de l’appartement, le degré de finition et les performances énergétiques ont à peine été évoqués. En outre, une comparaison des prix affichés sur Immoweb démontre que 75 % des logements similaires à Etterbeek sont proposés à un loyer plus élevé.
Plus généralement, l’interdiction des loyers abusifs a pour objectif principal de lutter contre les abus et les logements les plus précaires. Dans sa forme actuelle, le dispositif bruxellois risque cependant de manquer sa cible : plutôt que de protéger contre les logements les plus précaires, la grille des loyers mise en place par le Gouvernement bruxellois risque d'être surtout mobilisée pour contester le loyer de logements confortables, présentant de nombreux éléments de confort.
Patrick Willems, du SNPC : « Le secteur n’a aucun problème avec le fait de lutter contre les loyers abusifs et les excès. Mais aujourd’hui, chaque locataire, même celui qui n’est soumis à aucune pression financière, peut contester un loyer correct sur la base d’une grille de loyers totalement obsolète dès le départ. Cette situation crée un déséquilibre qui n’est pas du tout conforme aux objectifs initiaux de la mesure. Le résultat sera sans appel : les biens locatifs se feront encore plus rares et les prix des loyers continueront d’augmenter. Les investissements diminueront et la qualité des logements se détériorera à vue d’œil. La principale victime ? Le locataire bruxellois. »