Encadrer le montant des loyers : remède miracle ou simple bandage ?

Le CRI n°485 - Juin 2024
Encadrer le montant des loyers : remède miracle ou simple bandage ?

Le sujet de l’encadrement des loyers revient régulièrement dans le débat public en Belgique mais également dans d’autres pays. Pour certains il est évident que le montant des loyers doit être encadré par l’Etat et pour d’autres, seul le marché économique devrait le fixer. Ce mécanisme se retrouve dans plusieurs programmes politiques en vue des prochaines élections. Parcourons les enseignements des mécanismes déjà mis en place dans d’autres pays.

L’objectif

Avant d’examiner le ou les mécanismes d’encadrement (comprenez contrôle et régulation), voyons d’abord le but poursuivi par celui-ci. Très souvent, les défenseurs du système évoquent l’argument d’un meilleur accès au logement, l’assurance d’un habitat abordable et une garantie contre la vie chère. Les avantages souvent cités sont la création de loyers abordables pour les faibles revenus ainsi que la réduction de la mobilité (les locataires ne doivent pas quitter leur logement quand le loyer augmente). Ainsi, par exemple, nous pouvons lire dans le programme du Parti Socialiste que la mesure permettrait de rééquilibrer le marché locatif privé. De son côté le parti ECOLO estime que le mécanisme sera moteur de logement de qualité pour tout le monde (sic).

Le mécanisme de l’encadrement

L’encadrement des loyers peut s’envisager de plusieurs manières. Principalement, il s’agit de deux axes : le premier est de contrôler le montant initial du loyer et le second de contrôler l’évolution du loyer en cours de bail ou à son renouvellement. Concrètement, il s’agit pour le premier cas de fixer un montant maximum auquel un propriétaire peut mettre son bien en location. Ce loyer maximum peut être calculé selon divers mécanismes : grille indicative, pourcentage de la valeur de l’immeuble etc. Par exemple : vous souhaitez mettre en location un appartement deux chambres pour 600€ et la grille indicative de loyer calcule un montant de 500€ par mois. Le mécanisme d’encadrement pourrait vous interdire de dépasser ce montant ou de le dépasser par exemple de plus de 10%.

Petit Manuel de la mise en location
Petit Manuel de la mise en location
12 conseils élémentaires pour mettre son bien en location
Dans un monde idéal, la relation entre bailleurs et locataires est une relation sereine. Elle doit être rythmée par le dialog
Commander

Dans le second cas, c’est l’évolution du montant du loyer en cours de bail qui serait encadré. En effet, de très nombreux pays ont mis en place un système d’adaptation du loyer pendant l’exécution du bail. En Belgique, nous avons une illustration avec l’indexation du montant du loyer en fonction de l’indice santé. Les défenseurs du mécanisme d’encadrement souhaitent généralement un blocage du montant du loyer pendant la durée du bail, soit qu’il reste au montant fixé en début de bail, sans variation à la hausse possible, soit qu’il ne puisse jamais dépasser un certain seuil d’augmentation. Par exemple : en application de l’indexation, vous devriez majorer le loyer de 4,60% mais le mécanisme de correction vous limiterait à 2%.

Du côté des programmes politiques

Nous avons examiné plusieurs programmes politiques avec les propositions de différents partis en lien avec le mécanisme de blocage des loyers.

Ainsi, le Parti Socialiste propose notamment de :

  • Encadrer le prix des loyers, en tenant compte de la qualité du bien loué.

  • Revoir le mode de calcul de l’indexation des loyers et interdire l’indexation des loyers pour les biens ayant une faible performance énergétique.

Le parti ECOLO propose quant à lui :

  • L’impossibilité d’indexer le loyer si la PEB est mauvaise tout en renforçant le soutien à la rénovation

  • La mise en place de commissions paritaires locatives (pour contrôler le montant du loyer)

  • Les propriétaires ayant bénéficié d'un soutien public, que ce soit pour l'acquisition ou la rénovation du bien mis en location, offrent un loyer respectant la grille des loyers

Nous retrouvons donc dans au moins deux programmes, la proposition de mettre en place un mécanisme de blocage des loyers, que ce soit au moment de la conclusion du bail ou dans la suite de son exécution.

Les écueils du système de blocage des loyers

Le système de l’encadrement des loyers n’est pas neuf puisqu’il a été mis en place pour la première fois en 1947 en Allemagne. Plusieurs expériences ont déjà été menées à travers l’histoire avec plus ou moins de succès et notamment un certain nombre d’inconvénients.

Ainsi, une étude a été menée par des chercheurs de l’Université de Stanford dans la ville de San Francisco qui avait instauré en 1979 un contrôle des loyers à tous les immeubles qui comprenaient au moins 5 appartements. L’examen est d’autant plus intéressant qu’il porte sur une période de 1980 à 2016. Le constat est que le parc locatif s’est fortement rétréci. L’offre d’appartements à louer concernés par le mécanisme aurait baissé de 25%.

Il en ressort donc qu’un blocage des loyers a diminué l’intérêt pour l’investissement dans ce type de bien, réduisant ainsi l’offre et le nombre de biens disponibles.

D’autre part, une réduction d’attractivité du montant du loyer pourrait nuire à la qualité des logements. En effet, de façon assez élémentaire, un propriétaire qui dégage un revenu brut mensuel moindre de son bien, ne pourra y affecter qu’une part moindre pour le gros entretien et les travaux d’amélioration. La ville de New-York semble avoir été confrontée au problème avec de nombreux biens qui se sont progressivement dégradés faute de moyens. Gardons en mémoire les travaux titanesques qui attendent la Wallonie en termes de rénovation de son bâti résidentiel pour être en conformité avec ses engagements européens.

De plus, le contrôle des loyers pourrait être source d’inégalité. En effet, le loyer bloqué ne dépend pas des ressources du locataire. En généralisant cette mesure à tous les locataires, cela n’implique pas automatiquement que les ménages les plus précaires seuls pourront en bénéficier. Le locataire qui dispose de revenus confortables payera le même prix qu’une famille modeste. Cela ne va donc pas aboutir à créer un appel d’air vers du logement en faveur des plus précaires.

Enfin, le problème majeur en Belgique réside dans le fait qu’il manque un nombre important de logements adaptés. La fédération de la construction EMBUILD avance le chiffre de 225.000 logements supplémentaires qui seront nécessaires d’ici 2030. Adopter un mécanisme contraignant sur le montant des loyers ne va pas générer du logement ni répondre à ce besoin.

Certains de nos membres se rappelleront également la sortie de l’économiste suédois Assar Lindbeck : le contrôle des loyers est le moyen le plus efficace que nous connaissons pour détruire une ville, exception faite d’un bombardement.

Qu’en retenir ?

Souvent invoquée comme la solution incontournable pour contrer de nombreux maux du marché locatif privé, le mécanisme de blocage des loyers est surtout bénéfique sur le court terme comme le démontre les études menées sur des expériences qui avaient eu le temps de faire leurs maladies de jeunesse et d’être éprouvées par le temps. Lorsque le spectre porte sur une période plus longue, des effets pervers sont constatés et non des moindres. Cette mesure n’est donc pas le remède miracle qui est souvent vanté par certains. D’autres solutions davantage axées sur les besoins actuels du marché locatif ou de la construction devraient être privilégiées. Gunnar Myrdal, Prix Nobel suédois d’économie, écrit dans l’ouvrage de référence « Rent control : Myths and Realities » : « Le contrôle des loyers dans certains pays occidentaux constitue peut-être le pire exemple de mauvaise planification par des gouvernements manquant de courage et de vision ».

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
Vous utilisez un navigateur qui ne prend pas en charge toutes les fonctionnalités du site. Nous vous conseillons de changer de navigateur.
×