Des investissements effectués par des personnes physiques dans des « kots d’étudiants » sont fréquemment une « cible » pour l’Administration des finances.
L’Administration a soumis à la Cour d’appel de Bruxelles un litige concernant un couple qui avait acquis en indivision un immeuble comprenant 32 « kots d’étudiants » et un appartement.
Le couple avait affecté l’appartement à son habitation. L’acquisition de l’ensemble avait été financée avec un emprunt dont les intérêts débiteurs dus à la banque ont été déduits des loyers perçus afférents aux « kots ». Ces loyers comprenaient divers postes : le loyer afférent au studio, le loyer du mobilier garnissant le studio, outre un montant forfaitaire pour les consommations courantes et les frais d’entretien des parties communes (cuisine, salle-à-manger, salle de bain et sanitaires).
L’argument principal de l’Administration, pour soutenir que ces revenus locatifs étaient à qualifier de revenus professionnels, était fondé sur l’existence de l’emprunt, a été rejeté en première instance. L’arrêt d’appel du 7 mars 2023, a confirmé ce jugement de première instance, et souligne que « …le seul fait de devoir recourir à l’emprunt ne pourrait suffire à établir que les revenus locatifs revêtiraient nécessairement un caractère professionnel, cette interprétation pouvant aboutir à qualifier distinctement les revenus perçus, non pas en fonction de l’existence (ou non) d’opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pouvant constituer une occupation continue et habituelle, mais bien en fonction ou non de l’existence (ou non) d’un patrimoine familial. … ».
La volonté de taxer ces revenus locatifs en revenus professionnels (avec toutes les conséquences qui en découlent, non seulement en matière d’impôts directs mais aussi sur le plan du droit social) implique pour l’Administration de soumettre une démonstration d’une organisation d’activités suivies de gestion d’un patrimoine.
L’arrêt observe : «…on pourrait conclure à l’existence d’une occupation lucrative en relevant le caractère répétitif d’opérations réalisées par les contribuables. Or, le fait de percevoir des loyers ne constitue pas une « occupation » », soit un ensemble d’opérations. … ».
L’Administration devait avoir perçu en degré d’appel l’audace de sa thèse des revenus professionnels pour tenter de soutenir cette thèse subsidiaire devant la Cour d’appel selon laquelle les revenus litigieux étaient en tout cas à considérer comme des revenus divers au sens de l’article 90,1° du Code des impôts sur les revenus. Mais dans ce cas d’espèce, cet argument a également été rejeté par la Cour d’appel qui rappelle que « …selon la jurisprudence de la Cour de cassation, que la cour fait sienne, les revenus de biens immobiliers donnés en location ne peuvent être qualifiés de revenus divers » (Cour de Cassation 4 octobre 2013, F.12.0023.F).
Cet article 90,1° du Code des impôts sur les revenus visant les revenus divers énonce notamment : « …les bénéfices ou profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques … ». Cette thèse de « revenus divers » est ainsi heureusement balayée.
L’arrêt d’appel, qui confirme le jugement de première instance du 2 septembre 2016, observe aussi que l’Administration devait établir dans sa thèse principale de revenus professionnels « …un ensemble d’opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continue et habituelle et qui, excédant les limites de la gestion normale d’un patrimoine privé, présenteraient un caractère professionnel… ».
Ce libellé met en exergue la difficulté de distinction entre ces notions de revenus professionnels et de revenus divers. Ces décisions soulignent la prudence de l’analyse à établir en fonction des éléments de fait.
La Cour, après le relevé des 14 obligations mentionnées dans les baux à charge des locataires pour la vie en proximité des étudiants locataires, a écarté l’affirmation administrative selon laquelle les propriétaires ont dû mettre en place « … une gestion (qui)se distinguerait d’un suivi de logements destinés à la résidence principale. … ».
Cet arrêt de principe retient que le fait de louer une chambre meublée et de prévoir des pièces de vie commune ne peut être considéré comme un « service », consistant un « ensemble d’opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation lucrative ».
Ces décisions judiciaires attirent l’attention sur l’importance de la constitution d’un dossier étayé avec circonspection devant éliminer l’établissement d’un suivi quasi permanent des locations pour parer à toute tentative de requalification des revenus immobiliers en revenus professionnels.
L’arrêt donne également une leçon de prudence quant à l’importance factuelle de gestion d’un patrimoine par ces termes « …un bon père de famille est censé conserver, accroître et faire fructifier son patrimoine, de sorte qu’est « normale » une gestion qui s’avère rentable. … ».
La notion de « spéculation » invoquée par l’Administration est également rejetée, la Cour observant qu’à la supposer établie « …elle ne pourrait suffire à requalifier les revenus en revenus provenant d’une occupation professionnelle... ». L’arrêt fonde le rejet de cette notion dans ce cas d’espèce en se bornant à reprendre l’essentiel de l’article 90,1° évoqué ci-dessus qui énonce notamment « les revenus divers sont sans préjudice des dispositions du… 8,10, les bénéfices ou profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l’exercice d’une activité professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion normale d’un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers ».
Dans un arrêt du 30 mai 2013 (Journal de droit fiscal 2013, p.121), la Cour d’appel de Bruxelles avait relevé notamment que « …L’importance d’un patrimoine immobilier et les différents actes de gestion qu’il implique ne le transforment pas automatiquement en patrimoine professionnel et les opérations que sa gestion nécessite, en prestations professionnelles… ».
Cet important arrêt donne également un enseignement de prudence, car les services fiscaux sont à l’affût de situations tangentes et peuvent, voire sont contraints, de prendre en considération dans une analyse globale tous les éléments de fait qui sont propres au contribuable concerné dont notamment sa profession.